Dépendance: «Impôt caché», mesure insuffisante... Pourquoi l’idée d’une deuxième journée de solidarité fait polémique?
SECURITE SOCIALE Le président Emmanuel Macron a confirmé dimanche soir que la création d’une seconde journée travaillée non payée pour financer la dépendance était « une piste intéressante »…
- Emmanuel Macron a confirmé dimanche soir lors d'une interview sur BFMTV et Mediapart que la création d’une deuxième journée travaillée non-payée, à l’image de la journée de solidarité instaurée en 2004, est à l’étude pour financer la dépendance.
- Selon les prévisions de la Dress, 2,3 millions de Français pourraient être dépendants à l'horizon 2060 (contre 1,1 million en 2010).
- Toutefois, la mesure est critiquée car elle ne pèserait que sur les salariés et son rendement (2,37 milliards d'euros) serait bien insuffisant.
La chasse aux financements à commencer. Alors que la colère monte dans les Ehpad et que 2,3 millions de Français pourraient être dépendants à l'horizon 2060 (contre 1,1 million en 2010), le gouvernement est en quête de nouveaux financements de la dépendance.
Après un premier ballon d’essai envoyé jeudi par la ministre de la Santé Agnès Buzyn, le chef de l’État persiste est signe : oui, la création d’une deuxième journée travaillée non-payée, à l’image de la journée de solidarité instaurée en 2004 est bien à l’étude. Pour le président c’est même une « piste intéressante». 20 Minutes fait le point sur cette mesure controversée.
Qui serait concerné ?
Rien n’est encore arbitré et la décision devrait tomber d’ici la fin de l’année. Mais selon les déclarations du chef de l’État et de la ministre de la Santé, la nouvelle « journée de solidarité » actuellement à l’étude pourrait être calquée sur celle mise en place en 2004, quelques mois après la canicule meurtrière qui a frappé le pays.
Dans le détail, de 2004 à 2008, le lundi de Pentecôte a été travaillé par de nombreux salariés en ayant alors le statut d’un jour férié non chômé. Mais depuis 2008 la référence au lundi de Pentecôte a été supprimée : les entreprises fixent donc librement la date et les modalités de cette journée de solidarité (un autre jour férié, un jour de RTT, un jour de congé payé, un fractionnement du temps sur l’année, une journée offerte aux salariés). « En contrepartie de cette journée travaillée mais non payée, les employeurs – publics et privés – versent à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) une contribution de 0,3 % de la masse salariale (ce montant correspondant au surcroît de valeur ajoutée d’un jour de travail) », précise la CNSA, chargée de la gestion de cette contribution de solidarité autonomie (CSA).
Les revenus du capital (0,3 % des revenus des placements et des revenus du patrimoine) y sont également soumis (à l’exception de l’épargne populaire telle que le livret A). Par ailleurs, depuis 2013, les retraités imposables participent également à l’effort national, souligne la CNSA, à travers la « contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie » (CASA), une taxe de 0,3 % assise sur les pensions de retraite, d’invalidité et sur les préretraites (à partir d’un certain revenu fiscal de référence). Cette nouvelle journée de solidarité pourrait-elle être aussi étendue aux retraités ? « On verrait mal le président Macron prendre cette décision après le débat houleux sur la hausse de la CSG des retraités », estimé Philippe Crevel, économiste et directeur du Cercle de l’Epargne.
Journée de solidarité ou impôt caché ?
Le président de la République s’y est engagé dimanche soir : « il n’y aura pas de création d’un nouvel impôt local, ni d’un impôt national, il n’y aura pas d’augmentation de la pression » fiscale d’ici à 2022. Mais alors pourquoi évoquer la création d’une nouvelle journée de solidarité ? « Une seconde journée travaillée non payée serait par définition une hausse des cotisations sociales versées par les employeurs et compensée par les salariés, c’est une taxe sur la masse salariale » résume l’économiste Philippe Crevel. Une contradiction qui a du mal à passer.
« A partir du moment où on considère que la dépendance va coûter de plus en plus cher mais que c’est un risque universel qui relève de la solidarité, et que tout le monde doit avoir accès à cette nouvelle dépense, il est absurde que ce soit les seuls employeurs et salariés qui doivent financer ce besoin, estime Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l’OFCE. Il faut trouver un financement supplémentaire à cette dépense supplémentaire qui soit financé par une imposition plus forte répartie sur tous les contribuables, y compris les indépendants, les rentiers ou les retraités ». « Ou bien en faisant des économies budgétaires ailleurs en réduisant les dépendances sur d’autres budgets », note Philippe Crevel..
« Pour le président de la République la dépendance relève de la solidarité nationale et pourrait prendre la forme d’un cinquième risque à côté de la maladie ou de la retraite. Mais qui dit risque, dit besoin de financement et à partir du moment où on décide que ce n’est pas financé par une assurance privée mais que ça relève de la sécurité sociale, il faut voir comment on finance ce nouveau risque et le débat est totalement ouvert, rien n’est tranché, il y a plein d’autres solutions possibles qui ne sont pas des nouveaux impôts mais des réaffectations d’autres sources de financement, comme la CRDS [la contribution au remboursement de la dette sociale qui devrait s’éteindre à l’achèvement du remboursement de cette dette en 2028] », temporise ce lundi Olivier Véran député LREM de l’Isère, spécialiste des questions de santé et rapporteur général de la Commission des affaires sociales.
Un appel à la solidarité bien loin du compte
Mais même si cette option était finalement retenue, la création d’une seconde journée de solidarité ne serait qu’une goutte d’eau dans le chantier titanesque du financement de la dépendance. « La journée de solidarité créée en 2004 a rapporté, en 2017, 2,37 milliards d’euros alors que les financements s’élevaient à 30-40 milliards d’euros et qu’ils devraient augmenter de 25 % d’ici 40 ans selon la Drees », rappelle Olivier Véran, qui souligne que la majorité « réfléchit à une réforme qui permettra de financer à l’avenir de nouvelles prestations »
« Si on veut que les professionnels cessent de s’épuiser à domicile ou en établissement, il faut qu’ils soient respectés, il faudra beaucoup plus d’1,5 milliard [ce que rapporterait selon lui la seconde journée de solidarité]. C’est plutôt 10 milliards ! On voit bien que c’est la cinquième semaine de congés payés qu’il faudrait supprimer », a déclaré sur RMC Pascal Champvert, le président de l’Association nationale des directeurs au service des personnes âgées, qui plaide en faveur d’un financement « plus largement accepté par les Français », comme une taxe sur les successions
« Emmanuel Macron a hérité du dossier de la dépendance qui avait été enterré depuis plus de dix ans, mais si l’option de l’assurance privée n’est pas retenue c’est le public et donc l’impôt qui va devoir le financer : si ça paraît difficile de le faire sous la forme de cette seconde journée de solidarité annoncée de façon un peu provocante, ça se fera d’une autre manière dans les prochaines réformes de la sécurité sociale ou des retraites », pronostique le président du Cercle des Epargnants.