Pourquoi la guerre des prix dans l’alimentation n’est toujours pas finie malgré l’intervention de Macron

DISTRIBUTION Les relations entre agriculteurs, industriels et grande distribution sont loin d’être apaisées…

Nicolas Raffin
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Un stand de fromages au salon de l'Agriculture 2018 de Paris.
Un stand de fromages au salon de l'Agriculture 2018 de Paris. — GERARD JULIEN / AFP
  • Les négociations commerciales ont lieu chaque année entre les grandes enseignes et les industriels de l’agro-alimentaire.
  • La grande distribution est accusée de tirer les prix vers le bas, au détriment des producteurs.
  • Une loi doit être votée en septembre pour rééquilibrer les rapports de force, mais certains experts estiment qu’elle ne réglera rien.

Dans les centrales d’achat des grandes surfaces, les prochaines heures s’annoncent tendues. Les négociations commerciales de 2018 s’achèvent en effet ce jeudi 1er mars. Ces discussions ressemblent à un duel : d’un côté, les PME et industriels de l’agro-alimentaire, qui veulent vendre leurs produits au meilleur prix. De l’autre, les grandes enseignes qui ont tout intérêt à négocier un prix bas afin d’attirer les consommateurs dans leurs rayons… quitte à ce que les producteurs en fassent les frais.

Pour égaliser un peu le rapport de force, une loi issue des Etats généraux de l’alimentation doit voir le jour en septembre, mais elle ne s’appliquera que pour les négociations de 2019. En attendant, le gouvernement voulait en finir dès cette année avec les mauvais comportements. La plupart des acteurs de la filière avaient donc signé une charte fin 2017, dans laquelle ils s’engageaient notamment à « permettre aux agriculteurs de vivre dignement de leur travail par le paiement de prix justes ».

Des contrôles et de la com’

Le résultat ? « La grande distribution ne respecte pas les engagements qu’elle a pris » a sévèrement jugé Benjamin Griveaux ce mercredi sur franceinfo​. Quelques heures plus tard, la DGCCRF, organisme chargé de la répression des fraudes, indiquait qu’elle avait perquisitionné les locaux de Leclerc mardi et mercredi.


Même si cette procédure n’a rien d’exceptionnel – près de 300 contrôles sont menés chaque année dans le cadre des négociations commerciales -, Leclerc s’est étonné de la méthode. Dans un communiqué, la grande enseigne n’a pas manqué de souligner que « les années précédentes, Bercy attendait la signature des contrats avant d’exercer ses contrôles », ajoutant que « la période est aux annonces politiques ».

Partie de poker menteur

Le gouvernement n’est pas le seul à critiquer le comportement de la grande distribution. « Nous avons recueilli de nombreux témoignages de PME qui se disent malmenées au moment des négociations, affirme Valérie Weil-Lancry, directrice juridique en charge des relations commerciales à l’Ania, l’association des industries alimentaires. Aucune centrale d’achat [des grandes surfaces] n’a joué le jeu de la charte ». « Tant que la loi n’est pas votée, tout continue comme avant », renchérit Véronique Le Floc’h, secrétaire générale de la Coordination rurale.

Attaquée de toute part, la grande distribution n’a pas manqué de réagir. Invité d’Europe 1 mercredi, le délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), Jacques Creyssel, s’est défendu de négocier des tarifs toujours plus bas au détriment des producteurs.

« Sur tous les produits concernés par la charte, tous ces produits-là vont être globalement en hausse », a-t-il indiqué, mettant en avant les augmentations obtenues par les producteurs de lait, « entre 3 et 4 % » selon lui. Pour savoir qui dit vrai dans cette partie de poker menteur, il faudra attendre les relevés des prix en rayons.

En finir avec les nouveaux magasins ?

L’efficacité de la charte étant fortement remise en cause, le gouvernement mise désormais sur sa future loi pour assainir les pratiques. Parmi les nouvelles mesures, les producteurs attendent beaucoup de « l’inversion » de la construction du prix : ce sera désormais à eux de le fixer, et non à la grande distribution. Objectif : permettre aux agriculteurs d’avoir un revenu décent et de ne plus produire à perte.


Reste que ce « prix proposé » pourra être négocié… et donc revu à la baisse. « Le projet de loi tel qu’il est proposé est une coquille vide, assène Michel Biero, gérant des achats pour Lidl France. Il faut imposer un prix minimum garanti pour soutenir les éleveurs et les producteurs. Pour moi, une vraie loi contient des obligations et des sanctions. On en est encore loin ».

« La loi ne permettra pas de changer les comportements, abonde Olivier Dauvers, spécialiste de la grande distribution. D’un côté, la consommation alimentaire stagne, voire recule un peu. De l’autre, vous avez toujours des ouvertures de nouveaux magasins. Résultat, les grandes et moyennes surfaces sont dans l’obligation de jouer sur les prix pour s’en sortir et attirer les clients. »

Pour en finir avec ce cercle vicieux, « la seule mesure à prendre, c’est le gel des ouvertures de nouvelles grandes surfaces ». Une solution radicale qui n’a jamais été évoquée jusqu’à présent par l’exécutif.