Taxe sur les dividendes: Qui est responsable de ce «scandale d’État» à 10 milliards d’euros?
FISCALITÉ Des doutes sérieux sur la légalité de la taxe existaient depuis 2015…
- L’annulation de la taxe sur les dividendes oblige le gouvernement à revoir son budget 2018.
- Le ministre de l’Economie Bruno Le Maire avait demandé un rapport sur ce fiasco.
- Le document pointe surtout des responsabilités collectives.
A qui doit-on le contentieux qui va coûter des milliards d’euros à l’Etat ? C’est à cette question, très délicate sur le plan politique, que l’inspection générale des finances (IGF) a répondu en partie ce lundi. Dans son rapport rédigé à toute vitesse – en deux semaines seulement -, elle tente d’expliquer pourquoi personne n’a réagi avant l’invalidation de la taxe à 3 % sur les dividendes par le Conseil constitutionnel en octobre dernier.
Cette taxe avait été introduite en 2012 sous la présidence de François Hollande. La décision des Sages contraint ainsi l’État à rembourser 10 milliards d’euros, principalement aux grandes entreprises. Pour éviter que ce coût ne pèse trop sur les finances publiques et permettre à la France de tenir ses engagements européens, le gouvernement a mis en place dans l’urgence une surtaxe sur les 320 plus grandes entreprises françaises qui doit compenser partiellement l’annulation de la taxe sur les dividendes, en rapportant environ 5 milliards d’euros à l’État.
« Risques juridiques élevés »
Principal enseignement de l’enquête de l’IGF : le rapport ne pointe pas une responsabilité individuelle, mais des défaillances collectives. « Les responsabilités sont plurielles, dans les sphères administratives, gouvernementales, parlementaires et chez les représentants d’intérêts », note l’IGF. Pour l’organe administratif, les causes de ce « scandale d’Etat » - selon l’expression de Bruno Le Maire - sont aussi liées à un « concours de circonstances extraordinaire ».
Le rapport réserve néanmoins quelques flèches à Michel Sapin et Christian Eckert. En 2015, ils sont respectivement ministre des Finances et des comptes publics et secrétaire d’État au Budget. C’est à cette période que les premiers doutes sérieux sur la validité de la taxe apparaissent. En février 2015, la Commission européenne envoie une mise en demeure à la France à ce sujet. Puis en juin 2015, une note de Bercy envoyée au cabinet de Michel Sapin alerte « sur les risques juridiques élevés » de la taxe à 3 %.
« Malgré le caractère alarmiste de la note de la DLF [direction de la législation fiscale] en date du 19 juin 2015, il ressort des notes transmises à la mission qu’aucune adaptation du dispositif n’est envisagée » déplore l’IGF. Joint par 20 Minutes, Christian Eckert relativise la portée de cette phrase : « L’analyse faite à l’époque par les services, c’est qu’il fallait attendre les motivations précises de la Commission, et que sans ces motivations il était impossible de corriger les éventuels manquements ».
« Évidemment qu’on s’interrogeait »
L’IGF, très diplomatique, se montre aussi clémente envers l’ancien gouvernement. Elle estime que si l’annulation pure et simple de la taxe n’a pas été anticipée, c’est parce que ce scénario paraissait très peu crédible. Au regard des informations disponibles fin 2016, le rapport affirme ainsi que supprimer la mesure du budget 2017 aurait représenté « un risque de perte de recettes ».
« Il n’était pas possible de prévoir ce qui allait se passer, poursuit Christian Eckert. En 2016, évidemment qu’on s’interrogeait, mais les services nous disaient « on n’est pas sûr de perdre » [le contentieux] ». Pour s’éviter un nouveau cafouillage budgétaire, le ministère de l’Economie et des Finances a promis lundi « davantage de transparence sur les risques de contentieux ». Les parlementaires seraient ainsi informés des « alertes » émises par Bruxelles sur les dispositifs fiscaux.
Macron était-il au courant ?
Quant à Emmanuel Macron, il est épargné par le rapport. De 2012 à 2014, il est à l’Elysée, en tant que secrétaire général adjoint : or, selon l’IGF, les premières alertes sérieuses datent de 2015. Le voilà dédouané… au moins en partie. Car à partir de 2014, et jusqu’en août 2016, l’actuel chef de l’État était à Bercy, en tant que ministre de l’Economie.
A-t-il été mis au courant des risques juridiques qui pesaient sur la taxe ? « A Bercy, il y a des ministres responsables de la fiscalité et des impôts et des ministres responsables d’autres départements ministériels » indique une source proche du dossier. Manière de dire que ce sujet-là n’était pas de la compétence d’Emmanuel Macron. Une analyse qui n’est pas partagée par Eric Coquerel. « Emmanuel Macron (…) porte la même responsabilité politique que tous ceux qui étaient au gouvernement en charge de la finance », a affirmé lundi le député de la France insoumise.