Harcèlement et agressions sexuelles au travail: Le point noir de l’hôtellerie-restauration
VIOLENCES Plusieurs enquêtes montrent que les salariées de ce secteur sont plus victimes d’agressions que dans d’autres métiers…
- Selon une étude menée dans les pays nordiques, la majorité du harcèlement est le fait des clients.
- Les victimes sont souvent dans une situation précaire, avec un lieu de travail isolé, comme les chambres.
- Une convention internationale pourrait voir le jour l’année prochaine.
« Je croise un collègue dans la réserve du restaurant où je travaille : "Toi un jour je vais te violer" ». Un témoignage glaçant parmi d’autres, posté sur Twitter avec le mot-dièse « #balancetonporc ». Si l’ affaire Harvey Weinstein a braqué les projecteurs sur la violence subie par les femmes dans le monde du cinéma, elle a aussi permis ces dernières semaines de lever le voile sur la réalité du harcèlement et des agressions sexuelles du monde du travail en général. En 2014, un sondage révélait qu’ une femme sur 5 avait été harcelée sexuellement au travail, une proportion stable depuis 25 ans, à la différence près que les victimes peuvent maintenant utiliser la caisse de résonance des réseaux sociaux. Et parmi elles, de nombreuses serveuses de bars ou restaurants :
Des études accablantes
Ces différents témoignages viennent recouper une réalité statistique : l’hébergement-restauration (ou hôtellerie-restauration) est particulièrement concerné par le phénomène. En 2016, la Dares a publié un long rapport sur « les rapports sociaux au travail », avec un focus particulier sur les « comportements hostiles ».
Alors que seulement 1 % des salariés tout secteur confondu se déclarent victimes d’une personne « leur faisant des propositions à caractère sexuel de façon insistante [et répétée] », l’hébergement-restauration en recense le double (2 %), très loin devant les autres secteurs d’activité (hors agriculture et pêche).
Ces chiffres sont corroborés par la quatrième enquête européenne sur les conditions de travail (dite EWCS), réalisée en 2005. D’après cette étude, moins de 2 % de l’ensemble des travailleurs interrogés se plaignent « d’attentions sexuelles non désirées », alors qu’ils sont 4 % dans le seul secteur de l’hôtellerie-restauration.
Les agresseurs profitent de la précarité des victimes
Plusieurs facteurs se combinent pour expliquer ce phénomène. Julie Duchatel, responsable internationale des questions d’égalité et de genre à l’UITA (Union internationale des travailleurs de l’alimentation et de l’hôtellerie-restauration) en donne quelques-uns :
« D’abord, de nombreuses femmes de ce secteur sont employées sous un statut précaire, et ont peur que leur contrat ne soit pas renouvelé. Ensuite, dans ces milieux, comme dans beaucoup d’autres, la violence sexiste est perçue comme « naturelle ». Enfin, les lieux de travail sont isolés (chambres, cuisines) ».
D’après une étude réalisée dans les pays nordiques et publiée en 2015, les agresseurs sont souvent des clients. Mais pas de quoi dédouaner le secteur pour autant : « Certaines publicités de l’hôtellerie-restauration utilisent les femmes comme objets, ça renforce l’idée que les femmes sont là pour le plaisir du client. C’est tout un contexte qu’il faut déconstruire » appuie Julie Duchatel.
« On isole la salariée du collectif de travail »
La taille de l’entreprise peut aussi jouer un rôle. Pour Christophe Dague, le secrétaire général de la CFDT Paris, beaucoup de victimes de violences sexuelles sont employées dans des petites structures avec peu de salariés, quel que soit le secteur d’emploi. « Ce sont des entreprises où il n’y a pas forcément de représentant du personnel, explique-t-il. C’est donc plus facile d’isoler quelqu’un. »
Pour le syndicaliste, le schéma de l’agression ne varie pas d’un secteur professionnel à un autre :
« Cela démarre très souvent par une espèce de relation amicale quasi exclusive On isole la salariée du collectif de travail. Après, le harcèlement sexuel débute, la victime refuse les avances, les collègues ne la soutiennent pas parce que le patron les a montés contre elle. Puis, soit la victime cède et c’est un viol, soit elle ne cède pas et ça se transforme en harcèlement moral »
explique celui qui coordonne le projet « Respectées » de lutte contre les violences faites aux femmes sur leur lieu de travail.
Bientôt une convention internationale ?
Afin de faire évoluer les mentalités et les comportements, ce projet vise à former les élus CFDT sur la prévention du harcèlement sexuel mais aussi sur les manières d’accompagner les victimes ou des les orienter. Ce n’est pas le seul : au niveau mondial, un combat très important se déroulera l’année prochaine.
« En juin 2018, une grande discussion aura lieu à l’OIT (Organisation internationale du travail) pour décider d’élaborer ou nonune convention pour en finir avec les violences faites aux femmes et aux hommes dans le monde du travail, explique Julie Duchatel. On espère que la France soutiendra cette convention », qui imposerait aux États des normes juridiquement contraignantes.