VIDEO. Loi El Khomri: La jeunesse peut-elle tout faire basculer?
SOCIAL Une vingtaine d’organisations de jeunesse ont appelé les étudiants et les lycéens à se mobiliser ce mercredi 9 mars contre le projet de loi El Khomri…
Combien de jeunes descendront dans la rue ce mercredi pour manifester contre le projet de loi El Khomri ? La question taraude le gouvernement. Car il le sait bien : « Quand la mobilisation est double, c’est-à-dire quand elle réunit le monde du travail et celui de la jeunesse, le recul n’est jamais loin. Nous l’avons vu avec Mai 68, le CIP ou, plus récemment, avec le CPE », lance Irène Pereira, sociologue du militantisme.
Mais les jeunes se mobiliseront-ils ? « Pour l’instant, il n’y a pas eu dans la rue de mouvement spontané comme cela avait été le cas, par exemple, lors de l’affaire Léonarda. Cette flambée immédiate avait d’ailleurs fait reculer le président Hollande… Cette fois-ci, la contestation est organisée par des professionnels de la politique et du syndicalisme et force est de constater que ces dernières années, leurs appels mobilisent peu », analyse Albert Ogien, directeur de recherche au CNRS.
« 50 % des étudiants travaillent pour financer leurs études »
Pour ce chercheur, « si un million de personnes défilent dans la rue mercredi, il ne faudra sans doute pas l’analyser comme un renouveau du militantisme syndical ou politique, mais comme l’expression d’un ras-le-bol profond. Ce qui serait autrement plus grave pour le gouvernement ».
Patrick Cingolani, sociologue du travail et des mouvements sociaux, partage le même sentiment : « En tant qu’enseignant au contact de la jeunesse, je la sens plus que jamais coupée des logiques d’appareils et très libre dans ses actes ».
Mais cette jeunesse se sent-elle réellement concernée par ce projet de loi qui ne la cible pas spécifiquement, contrairement au CPE de 2006 ou au CIP de 1994 ? « Dans la mesure où le chômage et le travail précaire la frappent en priorité, elle peut légitimement penser avoir des raisons de manifester », estime Patrick Cingolani.
D’autant plus, comme le souligne Irène Pereira, que « le code du travail n’est pas une problématique lointaine pour les jeunes et encore moins pour les étudiants, puisque la moitié d’entre eux travaillent pour financer leurs études et que cette proportion grimpe à 73 % avec les jobs d’été ».
Et puis, « le gouvernement ne s’échine-t-il pas à démontrer qu’il fait cette loi pour la jeunesse ? », interroge Albert Ogien. Les déclarations ministérielles de ces derniers jours ont en effet pris cette nouvelle orientation. Comme lorsque Myriam El Khomri, l’auteure de la réforme, affirme : « C’est absurde que les jeunes aient peur de cette loi. Ce sont eux les victimes de cette hyper-précarité, de ces CDD, de ces stages. Cette loi est faite pour que les jeunes puissent rentrer plus facilement sur le marché du travail en étant en CDI ».
Valls ne reçoit pas les organisations de jeunesse
Le problème, c’est que « cet argument récurrent du nécessaire assouplissement pour une meilleure intégration a déjà été utilisé en 1994 avec le CIP et en 2006 avec le CPE et qu’il ne convainc pas les jeunes. De leur point de vue, les assouplissements déjà consentis se traduisent par une entrée dans la vie active toujours plus tardive et toujours plus marquée par les contrats courts et précaires », note Irène Pereira.
En outre, si le Premier ministre Manuel Valls reçoit cette semaine les représentants du patronat et des syndicats de salariés, il n’a pas convié ceux des organisations de jeunesse. « Il dit mener une politique pour les jeunes, mais sans en discuter avec eux… En soi, c’est déjà un scandale qui justifierait que la jeunesse se mobilise », estime Albert Ogien.
Pour Patrick Cingolani, cette décision illustre, « une fois de plus, pourquoi le citoyen lambda ne parvient pas à se sentir représenté par les politiques. La société a évolué mais le gouvernement reste dans une logique institutionnelle : il veut faire passer sa loi en continuant à satisfaire des demandes corporatistes – en l’occurrence, celles du patronat et celles de la CFDT – plutôt que de prendre véritablement en main le problème ».
Irène Pereira tempère : « Manuel Valls applique une stratégie politique classique qui consiste à limiter le nombre de partenaires de négociation. Il estime qu’accueillir les organisations de jeunesse sans savoir si ces dernières sont capables de mobiliser reviendrait à leur accorder trop d’ampleur ». Mais cette tactique n’est pas toujours payante, comme le rappelle l’experte : « Juppé avait obtenu le soutien de la CFDT en 1995, ce qui n’a pas empêché la tenue de grèves massives et le retrait d’une partie de son texte ».