Comment expliquer les débuts laborieux du CDI intérimaire ?

TRAVAIL Un an et demi après sa création, le CDI intérimaire ne révolutionne pas le marché du travail…

Oihana Gabriel
— 
Myriam EL Khomri, Ministre du Travail, a assisté à la signature du 1200 CDI intérimaire à Puteaux (Hauts de Seine) lundi 28 septembre 2015.
Myriam EL Khomri, Ministre du Travail, a assisté à la signature du 1200 CDI intérimaire à Puteaux (Hauts de Seine) lundi 28 septembre 2015. — SIPA

La ministre du Travail a beau afficher un grand sourire, les chiffres ne sont pas au rendez-vous. Lundi, Myriam El Khomri assistait à la signature du 1.200e CDI intérimaire chez Adecco et en a profité pour vanter les mérites de ce contrat qui permet de « sortir de la précarité » les travailleurs temporaires.

Un statut, né en mars 2014, qui permet aux intérimaires de toucher une garantie entre deux missions, au moins égale au Smic. Mais pour le moment, seulement 3.000 CDI intérimaires ont été signés. Loin de la promesse du patronat : 20.000 signatures d’ici 2017.

Des agences frileuses

Ce bilan mitigé s’explique par plusieurs facteurs selon François Sarfati, chercheur au Centre d’études de l’emploi. « Certaines agences d’intérim se sont montrées frileuses car elles voulaient s’assurer que les intérimaires à qui elles proposent un CDI correspondent aux exigences des entreprises locales. Or, l’élite des intérimaires n’a pas forcément intérêt à signer un CDI car ils trouvent de toute façon du travail. Les agences devaient également s’adapter à un nouveau métier puisqu’elles assurent aussi le suivi de carrière et la formation de ces CDI. »

Selon Nicolas Smeets, en charge des CDI intérimaire chez Manpower France, « on peut parler d’un retard à l’allumage. Il fallait expliquer cet ovni autant à nos clients qu’aux intérimaires. Mais depuis le début 2015, nous sommes dans une montée en puissance avec 125 CDI intérimaires signés chaque mois. Un rythme soutenu qui devrait permettre à Manpower de tenir son engagement : 4.000 CDI signés en 2017. »

« Il serait prématuré de condamner ce nouveau contrat de travail », renchérit Sébastien Buffet, porte-parole de Randstad. Qui explique ce délai également par « l’insécurité jurdique soulevée par un recours de FO contre ce CDI intérimaire et un contexte économique contraint ».

Des intérimaires pas toujours convaincus

Mais les raisons du démarrage laborieux viennent aussi des intérimaires. Chez Manpower, première agence d’intérim, le taux de refus se situe entre 30 et 40 %. Chez Randstad, c’est un sur deux. « Dans le parcours d’un intérimaire, il y a des moments où ce qui compte le plus c’est le salaire, souligne Nicolas Smeets. Et la perte de 10 %, à savoir l’indemnisation de fin de mission est un argument de poids. Mais à d’autres moments, naissance d’un enfant, achat d’un appartement, il a un besoin de sécurisation. Ce nouveau contrat n’a pas une vocation universelle. »

« Un intérimaire classique gagne en moyenne 21 % de plus qu’un salarié dans une entreprise, analyse François Sarfati, qui doit publier dans les prochains mois une étude sur ce CDI intérimaire. Ces travailleurs ne trouvent pas toujours leur compte dans le CDI. Par ailleurs, nous avons interrogé une quarantaine d’intérimaires et certains d’entre eux refusent ce statut pour pouvoir continuer à choisir de travailler avec telle société ou au contraire refuser de travailler avec telle autre. Pour le moment, mais nous devons poursuivre l’étude, nous n’avons pas de cas concret où l’obtention d’un CDI intérimaire a réellement permis l’accès à un logement ou un prêt. Un argument avancé par la ministre, mais qui reste à vérifier. »

La loi Rebsamen a modifié ce nouveau contrat

Ce fameux CDI intérimaire a connu quelques modifications en cours de route. « La loi Rebsamen de cet été a modifié ce CDI intérimaire sur deux points, reprend le chercheur. Sur la durée : une mission peut désormais durer jusqu’à 36 mois contre 18 avant. Autre victoire pour le patronat : la période de carence, un tiers du temps travaillé auparavant, est supprimée. On ne peut exclure que ce faible nombre de CDI signés entre mars 2014 et juillet 2015 ait servi d’argument pour le patronat afin de convaincre le ministre du Travail d’assouplir la législation ».

Et ce dernier de conclure : « Si le bilan est pour l’instant très nuancé, ces nouvelles dispositions pourraient accélérer le mouvement. » Même enthousiasme chez Randstad: « La loi Rebsamen qui a levé le verrou du délai de carence est en élément favorable pour l’accélération. »