«Le chômage de masse concerne en France quasi-exclusivement les travailleurs peu qualifiés»
INTERVIEW Pour David Thesmar, professeur à HEC, et coauteur l’étude de l’Institut Montaigne Marché du travail: La grande fracture , diminuer le coût du travail non-quali fi é permettrait de réduire le c hômage...
Le début de l’année 2015 va-t-il marquer un début de décrue du chômage? Réponse ce mercredi à 18h, lorsque le nombre de demandeurs d’emploi recensés fin janvier sera dévoilé. Ces chiffres devraient encore démontrer que les moins qualifiés payent le plus lourd tribut de la situation économique morose en France. Un constat effectué dans l’étude de l’Institut Montaigne Marché du travail: la grande fracture publiée mi-février. Un de ses auteurs, David Thesmar, professeur à HEC, en analyse les raisons.
Quelle est la part des personnes peu qualifiées parmi les demandeurs d’emploi?
En 2012 (date de la dernière enquête emploi de l'Insee), les actifs ayant un niveau d’étude inférieur au baccalauréat constituaient plus de 61% des chômeurs, mais seulement 45% des personnes ayant un emploi. Et leur taux de chômage était de 15%, contre 5% pour ceux ayant fait des études supérieures. On peut en conclure que le chômage de masse concerne en France quasi-exclusivement les travailleurs peu qualifiés et que le marché du travail est polarisé. Et cette situation s’est probablement accentuée depuis 2012. Ce problème n’est pas l’apanage des jeunes car beaucoup de ces chômeurs pas diplômés ont plus de 50 ans.
La France est-elle différente de ses voisins sur ce point?
Notre taux de chômage des non-qualifiés est au-dessus de celui de beaucoup d’autres pays européens ayant le même niveau économique que nous. Seules la Grèce, l’Espagne, l’Italie et le Portugal comptent davantage de chômeurs non-qualifiés que nous.
Est-ce dû au fait que le marché du travail a moins besoin de ces profils?
Certes, les emplois automatisables d’ouvriers et d’employés disparaissent. Mais notre économie post-industrielle a les moyens d’inclure dans la vie active un grand nombre de ces travailleurs faiblement diplômés, car il est possible de remplacer des emplois non-qualifiés détruits par le progrès technique par d’autres emplois peu qualifiés non-automatisables.
Lesquels?
Il reste un grand gisement d’emplois peu qualifiés qui pourraient être créés si la régulation du marché du travail les rendait viables. Notamment dans la restauration (serveurs, plongeurs…), le commerce (vendeurs, manutentionnaires…), la santé (aides soignants…) et les services à la personne. Ces secteurs sont sous-développés en France.
Quels sont les freins à la création de ces emplois?
Les charges sociales payées sur les bas salaires sont encore trop élevées, malgré les efforts des gouvernements successifs pour les réduire. Elles peuvent encore être diminuées (surtout les cotisations salariales), tout en maintenant le smic net au même niveau. En diminuant le coût du travail, on inciterait les entreprises à embaucher, tout en maintenant le revenu du salarié.
Mais ne pensez-vous pas que la réforme de la formation professionnelle va permettre de former davantage de chômeurs qualifiés, les aidant ainsi à se réinsérer?
La France n’a pas, pour l’heure, une offre de formation qualifiante suffisante pour permettre à ces actifs de se réorienter. C’est d’autant plus embêtant que ce dispositif coûte une vingtaine de milliards d’euro par an.
Peut-on être optimiste pour ces chômeurs non qualifiés dans les mois qui viennent?
La reprise conjoncturelle devrait être perceptible au printemps. Mais avant qu’elle se traduise en emploi, il faudra attendre environ un an. Ce rebond de l’emploi bénéficiera à toutes les catégories de chômeurs, même si les moins diplômés resteront les plus mal lotis sur le marché du travail.