Europe: L’enfer des contrats précaires, revers du chômage bas et de la crise
EMPLOI Eurostat publie ce mercredi le taux de chômage par pays de la zone euro constaté en novembre 2014. Mais, derrière les chiffres bas de l’Allemagne, par exemple, se cachent des contrats très flexibles et une pauvreté qui s’étend…
L’angoisse du SMS. Au Royaume-Uni, les contrats zéro heure ont rendu ces salariés totalement dépendants de leur mobile… et de leurs employeurs qui peuvent, quelques heures avant, annuler une mission. Ces contrats décriés symbolisent la pauvreté grandissante d’une partie des travailleurs européens puisque le contrat ne fixe ni heure ni salaire minimum, n’offre ni indemnité maladie, ni congés payés. Et les salariés ne peuvent travailler pour un autre employeur. Dans ce pays érigé en exemple avec ses 6% de chômage (contre 10,5% en France), le contrat zéro heure a explosé: +137% entre 2012 et 2013.
Insécurité et angoisse
Il a aussi essaimé soumission et pauvreté. Difficile de louer un appartement, de régler ses factures quand on travaille deux heures dans le mois. Dans The Guardian, une enseignante raconte comment ce contrat à zéro heure l’a poussé à renoncer à son métier de cœur pour survivre. L’insécurité, l’angoisse... elle raconte les dégâts d’un tel contrat: les employeurs ne vous «sonnent» pas, que vous soyez doué ou non, appliqué ou pas.
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«Mini-jobs» allemands, contrats verts portugais…
Le Royaume Uni n’est pas une exception. L’Europe regorge d’imagination pour faire baisser le chômage… et inventer des contrats flexibles. En Allemagne, où le chômage a reflué de 10% en 2005 à 5% en novembre 2014, selon le rapport Eurostat publié ce mercredi, les réformes Hartz ont créé les «mini-jobs» dans les années 2000. Des contrats qui riment avec un salaire maximum de 400 euros par mois. Et le salarié ne cotise pas pour sa retraite.
«Il y a une différence de temporalité entre l’explosion des contrats précaire au Royaume-Uni ou en Italie après la crise et les réformes structurelles en Allemagne dès 2000, souligne Bruno Ducoudré, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). La croissance était alors importante et l’Allemagne a pu faire des gains de compétitivité. En revanche en temps de crise, la flexibilité facilite la suppression des emplois.» Avec un revers de la médaille: l’observatoire des inégalités révèle dans un rapport que l’Allemagne est le pays européen qui compte le plus de pauvres.
«La dualité s’accentue en Europe entre les travailleurs protégés et précaires»
En Italie, la crise a vu l’éclosion de contrats exceptionnels: «contrat de projet», «contrat intermittent», «prestation de service»… Au Portugal, les emplois précaires ont pris une couleur: les «reçus verts» (de couleur bleue!): ces contrats obligent les prestataires à avoir un seul employeur, n'ont droit à aucun jour de congé, et doivent payer eux-mêmes leurs charges sociales.
Bernard Gazier, professeur de sciences économiques à l’université Paris 1, souligne que: «les chiffres cachent une réalité complexe: le taux de chômage est le même pour les hommes et les femmes mais elles sont davantage concernées par le temps partiel. Et la dualité s’accentue entre les travailleurs centraux, en CDI, avec de l’ancienneté, très protégés et la marge, les précaires qui gonflent lentement. C’est d’ailleurs frappant de voir que quand une entreprise ferme on ne se soucie jamais des intérimaires.»
L'exception danoise
Des mouvements de protestations se sont élevés partout contre ces contrats précaires. De là à faire changer la situation? «Je suis sceptique sur les dispositions juridiques et autres sanctions, reprend Bernard Gazier. Mais il faut mener une réflexion générale sur le partage plus égalitaire du travail. Au Danemark, seul pays européen qui échappe à la précarisation, les employés qui partent en congé pendant six mois sont remplacés par des chômeurs préalablement formés. Dans un cas sur deux, ces remplaçants restent.»