«La concurrence apporte plus de choix et des prix plus bas»

Propos recueillis par Céline Boff
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Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence
Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence — BERTRAND/NECO/SIPA

Il a démantelé des cartels et condamné des entreprises à payer des millions d’euros. Après dix ans passés à la tête de l’Autorité de la concurrence, Bruno Lasserre a été reconduit samedi pour cinq années supplémentaires. Entretien. 

Combien d’affaires traitez-vous chaque année? 

Environ 300. Nous poursuivons et sanctionnons les ententes sur les prix entre les concurrents, ce qui est illégal. Mais aussi les abus de position dominante. Dominer un marché n’est pas interdit, ce qui l’est en revanche, c’est de se servir de cette position pour appliquer des tarifs exorbitants aux consommateurs ou pour évincer des concurrents d’un marché par des moyens illicites.

Par exemple, nous avons condamné les laboratoires Sanofi-Aventis et Schering Plough à respectivement 40,6 et 15,3 millions d’euros pour avoir dénigré auprès des médecins et des pharmaciens les génériques produits par leurs concurrents.

Qui récupère l’argent des amendes? 

L’Etat. En dix ans, nous avons infligé 3,5 milliards d’euros d’amendes aux entreprises.

Comment analysez-vous le rapport des Français avec la concurrence?

On les présente souvent comme ne croyant pas en la concurrence, mais le sondage que nous avons réalisé en novembre 2011 montre que 82% des citoyens en ont une vision positive. Principalement parce qu’ils pensent que la concurrence est bonne pour la compétitivité des entreprises. Et c’est une vision très juste. Une entreprise qui n’est pas sous tension sera moins encline à se dépasser, à innover.

Mais la concurrence est aussi effrayante…

Le consommateur la plébiscite, le citoyen en doute parfois et le salarié la craint. Parce que la concurrence s’accompagne de mutations parfois vécues douloureusement par les employés. Et souvent, les citoyens retiennent ce seul aspect sans voir, sur le long terme, comment le nouvel équilibre a pu stimuler la demande, développer l’emploi, apporter de l’innovation et au final, faire croître le gâteau au bénéfice de tous.

Par exemple, l’arrivée des VTC génère des inquiétudes chez les taxis, les consommateurs sont peut-être troublés par ces évolutions mais au final, ils auront plus de choix et accès à davantage d’innovation.

Reste que les prix ont tendance à augmenter quand les services se privatisent et que la concurrence s’organise…

Il ne faut pas confondre privatisation et concurrence. La concurrence apporte aux consommateurs plus de choix et des prix plus bas. Personne ne peut lui reprocher de faire augmenter les prix.

Pendant les années 2000, SFR, Bouygues et Orange étaient trois entreprises distinctes et ça n’a pas vraiment profité aux consommateurs… 

Ces groupes se sont entendus pour partager le marché en fonction d’objectifs qu’ils avaient négociés entre eux, comme nous l’avons prouvé en 2005. Nous les avons d’ailleurs condamnés à une amende de 534 millions d’euros. Le problème était justement l’absence de concurrence. C’est pour cela que nous existons, pour vérifier qu’il existe une réelle rivalité entre les entreprises.

Mais finalement, les services publics n’offrent-ils pas le meilleur rapport qualité-prix?

Confier au public ou au privé une activité, c’est un choix politique et nous n’avons pas à nous prononcer sur ce point. C’est aux électeurs de juger.

La concurrence doit-elle être mondialisée comme elle l’est aujourd’hui?

Nous vivons dans un monde où la concurrence est la règle du jeu. La plupart des pays ont misé sur le fait qu’elle tire les entreprises et le marché vers le haut. Mais je suis le premier à dire qu’il faudrait des règles permettant aux entreprises de se battre à armes égales. C’est l’objectif poursuivi par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et nous-mêmes –il existe 130 Autorités de la concurrence dans le monde. Cela prend du temps.

La France en a-t-elle encore suffisamment?

La France doute trop d’elle-même. Or, la confiance est le moteur de l’économie. Mais notre pays a des atouts et il ne doit pas avoir peur du monde dans lequel il vit. Je crois à la sortie de crise et l’Autorité espère participer, grâce aux recommandations que nous formulons au gouvernement, à la modernisation profonde de notre pays.

Ainsi, la semaine dernière, nous avons remis au gouvernement une enquête sur le transport par autocar longue distance. Des acteurs français sont prêts à investir et il y a une vraie demande, notamment de la part des jeunes et des seniors, pour qui le train est relativement cher. Or, pour l’heure, un car peut assurer des liaisons entre des villes françaises seulement si son point d’arrivée est à l’étranger… Le marché est donc bridé alors qu’il y a là des gisements d’emplois et de croissance. 

Sur quels secteurs allez-vous vous pencher? 

Le transport, parce que c’est un poste important dans le budget des ménages (14% des dépenses). Nous allons nous intéresser aux péages des autoroutes. Les autres dossiers prioritaires sont l’énergie, la santé et tout ce qui concerne Internet.

Vous vous attaquez aux entreprises qui ne respectent pas le jeu, y compris les plus puissantes… Avez-vous déjà reçu des menaces? 

Non. Evidemment, les entreprises défendent leurs droits et nos décisions sont pratiquement toutes contestées, mais le plus souvent confirmées en justice. Nous devons donc déployer beaucoup d’efforts et de travail pour faire tenir nos décisions. Mais nous sommes une autorité crainte et respectée.

Vous semblez être un homme très calme. Qu’est-ce qui vous met en colère? 

 

Rien. Ma devise, c’est tenir et toujours sourire.