Richard Wilkinson: «Les trop hauts revenus sont antisociaux»

INTERVIEW Son livre «Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous» place l'inégalité au cœur de tous les maux de la société moderne…

Bertrand de Volontat
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Richard Wilkinson, auteur britannique. 
Richard Wilkinson, auteur britannique.  — Vincent Wartner / 20 Minutes

Haro sur l’inégalité! Dans son livre «Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous»,  préfacé par Pascal Canfin, aux éditions Les Petits matins et L’Institut  Veblen, le Londonien Richard Wilkinson montre que l’inégalité nuit aux  relations humaines et rend nos sociétés moins compétitives. Il ne  compare pas les inégalités de richesse entre les pays et ne prend pas en  compte le PIB/habitant. Il préfère mettre en rapport les revenus des  plus riches et ceux des plus pauvres et constate l’écart relatif pour  définir l’inégalité au sein d’un pays. Selon sa théorie, de cette  inégalité naissent les maux de la société que sont la confiance en soi,  envers les autres, l’espérance de vie, l’obésité et même la criminalité.  L’auteur britannique répond à 20 Minutes.

Votre livre est paru en 2009. Pourquoi avoir attendu quatre ans pour le traduire en français?

Les  Français montent toujours à bord du train en dernier. Et c’est culturel  en France, il y a toujours une certaine réticence à embrasser les idées  anglo-saxonnes. Maintenant le livre est traduit en 23 langues. Il y  aura des gens pour et des contre, tout simplement. Il faut éduquer la  population, c’est le premier objectif de ce livre. Et répondre à  l’anxiété sociale.

Vous  expliquez que la croissance économique ne suffit plus au bien-être des  sociétés. Or en pleine crise, la croissance est notre porte de sortie.  Que proposez-vous en échange?

Lutter  contre l’inégalité est une priorité et vous n’avez pas à choisir entre  croissance et égalité pour tous. L’inégalité est bien au contraire  mauvaise pour votre croissance car elle déclenche des mécanismes comme  des performances scolaires moins bonnes, une cohésion plus faible, une  mobilité sociale absente et un gâchis de vos talents. Il ne faut pas  croire que tous vos talents se trouvent parmi les évadés fiscaux qui  fuient la politique de votre gouvernement. L’inégalité a des  conséquences sur votre santé, sur votre stress, sur le vieillissement,  le jugement que vous recevez sur votre travail, le fait que vous vous  sentiez en danger tous les jours, que vous vous compariez aux autres en  permanence, et cela peut déboucher sur des maladies. Par ailleurs,  l’agressivité entre citoyens est bien présente dans les sociétés  inégales.

Vous parlez d’égalité pour tous. Comment relever cet immense défi? En augmentant les impôts des riches?

Egalité  pour tous ne veut pas dire égalité totale. Le meilleur moyen de réduire  l’inégalité au sein d’une population reste avant tout la fiscalité,  mais la redistribution ne fait pas tout. Tout le monde doit payer ses  impôts. Il faut élargir la démocratie au sein des rouages de la société  et de l’économie, avec notamment une législation plus forte en la  matière. Par exemple, un avantage fiscal ou une baisse de l’impôt sur  les sociétés pour les entreprises qui agissent en faveur des inégalités.  Inversement, les multinationales sont, selon moi, mauvaises pour la  démocratie. Aussi, au bout d’un certain nombre d’années de présence au  sein d’une entreprise, les salariés devraient en devenir les  actionnaires principaux. C’est de la démocratie économique.

L’inégalité est une question d’argent en définitive?

Les trop  hauts revenus sont antisociaux et la disparité des revenus avant impôt  est trop grande. La crise économique n’a fait qu’élargir ce trou. Un  écart d’un pour six serait idéal, pensent la majorité des personnes  interrogées. Et la colère sociale naît de ces écarts de rémunérations.  Le pire, c’est qu’avant la crise, les gens ignoraient que les écarts  pouvaient atteindre 1 pour 300 entre les patrons et certains salariés au  sein d’une même entreprise (le salaire du patron est trois cent fois  plus élevé). Avec la crise bancaire en 2008, les populations ont été  mises au courant des rémunérations fixes et puis des bonus qui ont fait  scandale. Le fait que cela continue aujourd’hui prouve qu’il n’y a plus  de contre-pouvoir suffisant aujourd’hui dans nos sociétés. Il est  important de rassurer la population et les plus faibles en leur faisant  confiance.