Dumping chinois: «Le photovoltaïque est un dossier hypersensible»

INTERVIEW Michel Fouquin, expert en commerce international, décrypte le bras de fer entre l’Union européenne et la Chine sur le solaire chinois...

Propos recueillis par Claire Planchard
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Michel Fouquin, conseiller au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII).
Michel Fouquin, conseiller au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII). — DR

Les représailles n’auront pas tardé. Au lendemain de la décision de la Commission européenne d’instaurer des taxes provisoires sur les importations de solaire chinois soupçonnées de dumping, le ministère chinois du Commerce a annoncé ce mercredi avoir lancé «une procédure antidumping et anti-subventions visant les vins de l'Union européenne». Le décryptage de Michel Fouquin, conseiller au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII)

Pourquoi le solaire cristallise-t-il les tensions?

C’est un point hypersensible de part et d’autre. Le photovoltaïque représente 6% des exportations de la Chine, ce qui est considérable. Le pays a décidé de faire de cette industrie de haute technologie une priorité et a surinvesti dans le secteur. Confronté à des surcapacités de production (estimées à 1,5 fois la demande mondiale) et à un fort endettement des entreprises du secteur (la faillite de Suntech a laissé une ardoise de 1milliard de dollars), le pays  vend à tour de bras et à prix cassé: en deux ans, les prix ont chuté de 75%, soit bien en dessous du coût de production, ce qui constitue du dumping. Et les Etats-Unis ayant imposé il y a deux ans, une taxe à 40% en moyenne sur ces matériels solaires, la Chine reporte tout sur l’UE. Or, une des façons pour l’Europe de sortir de la crise est d’améliorer sa compétitivité en faisant émerger de nouvelles industries pour exporter: le photovoltaïque y correspond parfaitement. Confrontée à la concurrence déloyale de la Chine qui menace 25.000 emplois de qualité, l’Union européenne a donc décidé de frapper fort.

La menace de représailles sur les vins européens est-elle à prendre au sérieux?

Penser que les vins français sont vendus à bas prix en Chine est une bonne blague car si quelqu’un a fait monter leurs prix, ce sont bien les Chinois! Les vins australiens ou chiliens sont bien moins chers en Chine. Si des mesures anti-dumping sont prises, elles seront portées devant l’OMC qui demandera leur retrait. Entre-temps, ce qui sera perdu sera perdu. En revanche, la Chine a des moyens plus «subtils» d’embêter les Européens sur leur marché. Les constructeurs allemands qui vendent des voitures de luxe à tour de bras en Chine ont récemment été visés par une campagne de presse dénonçant des gaz toxiques dangereux émanant de leur système de freinage et ont dû rappeler leurs véhicules. C’est un fait nouveau: la Chine a instauré un système de lobbying redoutable. Il publie des interventions de qualité dans les médias et le Premier ministre a même réussi à pousser Angela Merkel à désavouer dans un premier temps la commission européenne dans le dossier du solaire. Ça ne se serait jamais vu il y a trois ou quatre ans.

Est-ce qu’un compromis peut être trouvé dans ce dossier?

On est encore au stade des mesures provisoires. C’est en décembre que la commission se prononcera pour cinq ans. Pendant ce temps, il est certain qu’ils vont négocier. Mais vont-ils tomber d’accord? Les Chinois ont l’habitude de pousser les choses à l’extrême pour impressionner. En l’absence d’accord, le vrai risque serait que l’Allemagne, qui est un rare pays en situation favorable en Chine et qui a des intérêts économiques vitaux à avoir de bons rapports avec elle, choisisse de désavouer en décembre la Commission: cela lui ferait perdre toute crédibilité internationale en matière de politique commerciale. Mais cela m’étonnerait.