Comment le luxe fait avaler les hausses de prix à ses clients

CONSOMMATION L'indice du coût de la vie de luxe a grimpé de 800% depuis 1976 contre 300% pour l’indice des prix à la consommation...

Mathieu Bruckmüller
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La vénérable maison Hermès, qui a relevé pour la deuxième fois ses prévisions annuelles, va "battre" ses chiffres de ventes record de 2010 cette année, a déclaré vendredi à l'AFP son patron Patrick Thomas.
La vénérable maison Hermès, qui a relevé pour la deuxième fois ses prévisions annuelles, va "battre" ses chiffres de ventes record de 2010 cette année, a déclaré vendredi à l'AFP son patron Patrick Thomas. — Miguel Medina afp.com

Un succès insolent. Alors que la croissance mondiale patine, que la zone euro est plongée en récession, le luxe ne s’est jamais aussi bien porté. La preuve: LVMH (Louis Vuitton, Givenchy, Dom Pérignon, Bulgari…) a vu son chiffre d’affaires flamber de 22% sur les neuf premiers mois de 2012. De son côté Hermès va dépasser pour la première fois la barre des trois milliards d’euros de ventes (+13%): «Tout est au beau fixe. On n'a pas de nuages», lâche Patrick Thomas, le patron du sellier. 

Les voitures de luxe au sommet

Et que dire de Porsche qui vient de boucler «la meilleure année de son histoire» avec 141.075 bolides vendus  (+18,7%) ou encore de Rolls Royce avec 3.575 unités délivrés. «Nous avons eu une année exceptionnelle malgré les obstacles qui se sont dressés devant nous, et Rolls Royce est désormais leader du marché de l'ultra luxe avec une avance considérable», se félicitait cette semaine le directeur général, Torsten Muller-Otvos.

Les Américains sont de retour

Ce marché de niche comme l’ensemble du secteur du luxe bénéficie à plein de la demande de riches clients asiatiques. En effet, les Chinois représenteront en 2015 le principal débouché au monde pour les biens et services de luxe, qu'ils dépensent dans leur pays ou lors de voyages à l'étranger, selon une étude du Boston Consulting Group (BCG). Plus près de nous, la Russie fait bande à part avec une consommation effrénée de luxe. Et après la crise des subprimes de 2008, les clients américains sont de retour. Ainsi, Les États-Unis sont redevenus le premier marché de Rolls Royce, reléguant les Chinois sur la deuxième marche du podium.

Le groupe suisse Richemont illustre, à lui seul, la santé de l’industrie. Il s’est permis le luxe, cet été, de lancer un avertissement positif sur les résultats de son premier semestre 2012-2013. Un phénomène rare, les avertissements négatifs étant plutôt la norme. Le profit du propriétaire des marques Cartier, Montblanc ou encore Van Cleef & Arpels, était susceptible d’augmenter entre 20 et 40% par rapport aux six premiers mois de l’exercice précédent. Le verdict est tombé le 9 novembre : +52%!

Le faux paradoxe du luxe

Car outre la hausse des ventes, le nombre de riches augmente, mais de façon limitée, les acteurs réussissent surtout à faire grimper les prix. L'indice du coût de la vie de luxe calculé par Forbes a grimpé de 800% depuis 1976 contre 300% pour l’indice des prix à la consommation. «Cette hausse des prix indique simplement la très forte et croissante disponibilité à payer des plus riches pour qui le prix n’est rien d’autre qu’un critère de différenciation et de désirabilité», analyse, Jean-Luc Gaffard, directeur du Département de recherche sur l'Innovation et la Concurrence de l’OFCE dans une note intitulée: «L’insolente santé des industries du luxe: un faux paradoxe». 

Un bien ou un mal pour l’emploi?

Mais qui bénéficie à l’emploi dans un moment de hausse du taux de chômage. En Europe, l’industrie du luxe compte un million d’emplois directs et la moitié indirectement pour un chiffre d’affaires global de 440 milliards d’euros, soit 3% du PIB du vieux continent. Et il prévoit de croître de 7 à 9% dans les années à venir. Selon le comité Colbert qui regroupe 75 maisons françaises de luxe, le nombre d’emplois en France a grimpé de 10% entre 2006 et 2010 avec désormais 36.000 emplois directs.

Revers de la médaille, ces grands noms n’hésitent pas à se séparer des activités qui ne suivent pas le rythme. «Il n’est pas étonnant d’observer qu’avec la persistance de la crise et de son impact sur la consommation des ménages de la classe moyenne, une entreprise comme PPR (Gucci, Yves Saint Laurent, Boucheron, Balenciaga…) envisage de se séparer de certaines enseignes, en l’occurrence la FNAC, pour se concentrer sur le luxe», signale Jean-Luc Gaffard. Celle-ci sera introduite en Bourse, probablement en 2014. L’an dernier ses ventes ont reculé de 3,2% à 4,16 milliards d’euros avec des bénéfices presque divisés par deux à 103 millions d’euros. Pour renverser la vapeur, un plan d’austérité prévoit 500 suppressions d’emplois dont 310 en France à l’horizon 2015 sur les 17.000 salariés.