Nicole Bricq: «Je n'accepterai jamais qu'un ouvrier soit payé 4 euros de l'heure en France»

INTERVIEW Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur, présente en exclusivité à «20 Minutes» une étude sur l'agroalimentaire français à l’export et sur les ambitions de la France dans ce domaine. Elle veut décrocher la première place...

Propos recueillis par Céline Boff
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Le 24 octobre. Nicole Bricq, Ministre du Commerce exterieur, en interview dans son bureau de Bercy, a l'occasion de la sortie du rapport d'UBIFRANCE sur le secteur agroalimentaire francais a l'export.
Le 24 octobre. Nicole Bricq, Ministre du Commerce exterieur, en interview dans son bureau de Bercy, a l'occasion de la sortie du rapport d'UBIFRANCE sur le secteur agroalimentaire francais a l'export. — V. WARTNER / 20 MINUTES

Alors que le Salon international de l’agroalimentaire (Sial) vient de fermer ses portes à Paris, 20 Minutes a rencontré Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur, pour faire le point sur cette industrie française et sa présence à l’international.

Ubifrance, le bras armé de Bercy à l’international, vient de réaliser une étude sur l’agroalimentaire français à l’export. Quel est votre objectif?

Cette étude cible les besoins précis de 31 pays pour nous permettre d’y restructurer notre offre. La filière agroalimentaire a enregistré un excédent commercial de 12 milliards d’euros en 2011, mais la France est seulement le quatrième exportateur mondial et nous perdons chaque année des parts de marché, notamment sur les produits de seconde transformation (conserves, biscuiterie, etc). Avec les atouts que nous avons, nous devons prendre la première place.

Dans ce domaine, l’Allemagne nous devance encore en étant le troisième exportateur mondial…

Car ils jouent sur les coûts. Dans la viande, ils utilisent une main-d’œuvre qui leur revient à 9 euros de l’heure (soit 4 à 5 euros pour le salarié), quand nous sommes entre 18 et 22 euros (soit 9 à 11 euros pour le salarié). Mais nous ferons la différence grâce à notre savoir-faire, notre design, nos innovations et grâce à la marque France, qui est très forte.

Ce vendredi, les ministres se retrouvent pour parler coût du travail. Vous n’allez donc rien concéder?

Il y a un problème de coût dans certains secteurs, comme celui de la viande, et nous devons réfléchir aux moyens de diminuer les charges dans ces filières. Mais je n’accepterai jamais qu’un ouvrier français soit payé  4 euros de l’heure, comme  ça peut être  le cas en Allemagne.

Dans quels pays comptez-vous gagner des parts de marché?

Dans tous les pays où  des couches  moyennes se développent et modifient de fait leurs habitudes alimentaires. Les Chinois consomment par exemple de plus en plus de produits laitiers: 27kg par habitant en 2011, contre 2kg en 1995. Nous sommes à 100kg en Europe… Voilà un segment sur lequel nous devons gagner. En Corée du Sud, l’émergence des jeunes célibataires entraîne une consommation accrue de produits conditionnés à l’unité. Nous devons faire monter cette offre en puissance. Autre exemple mis en avant par l’étude: l’Arabie Saoudite, où la consommation des produits biologiques explose. Dans les supermarchés, 20% de ces produits sont français. Là aussi, nous devons faire mieux. Et ce, sans délaisser l’Europe qui représente 66% de nos exportations.

Mais vouloir se développer sur ce marché, est-ce encore pertinent?

Nous sommes certes en crise, mais le pouvoir d’achat des Européens reste réel. Ce n’est pas un hasard si les Etats-Unis et le Japon souhaitent développer des accords de libre-échange avec nous.

Ces accords ne menacent-ils pas la pérennité de nos industries?

Réaliser un milliard d’euros de plus à l’export entraîne la création de 10.000 emplois en France. Nous devons donc mesurer ce que ces accords, qui prévoient des réductions dégressives des tarifs douaniers, vont nous permettre de gagner.  

Justement, la France voulait mettre sous surveillance les importations de voitures en provenance de Corée du Sud, mais Bruxelles a refusé lundi cette demande…

La Commission a regardé les chiffres et considéré qu’il n’y avait pas de désavantage. Il est vrai que dans la filière agroalimentaire, cet accord a été positif puisque nous avons enregistré un excédent commercial avec la Corée en 2011. Mais il est important que nous exigions de la réciprocité dans les échanges. Je fais actuellement le tour des capitales européennes pour que l’Union Européenne se dote d’une arme contraignant les pays tiers, et notamment les Etats-Unis, le Canada et le Japon, à cette réciprocité. Certains pays y voient du protectionnisme, ce n’est pas le cas. Je vais me battre pour convaincre une majorité de capitales.