Antoine Buéno, auteur d'un livre sur les Schtroumpfs: «J'ai reçu des menaces de mort par mails»

CULTURE L'auteur du «Petit Livre bleu, analyse critique et politique de la société des Schtroumpfs», écrivain et professeur à SciencesPo, est critiqué pour avoir appliqué une grille de sciences-politiques aux albums de Peyo...

Propos recueillis par Charlotte Pudlowski
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Célébration de l'anniversaire des Schtroumpfs, le 28 février 2009 à Bruxelles
Célébration de l'anniversaire des Schtroumpfs, le 28 février 2009 à Bruxelles — ANSOTTE/ISOPIX/SIPA

Le Petit Livre bleu est sorti depuis quelques jours, et déjà tout le monde en parle. Beaucoup s’insurgent contre les éléments d’utopie totalitaire que vous percevez dans la société des Schtroumpfs.

Cela me dépasse complètement. Je pensais à ce livre depuis plusieurs années. Dans un roman que j’avais publié en 2006 (Le Triptyque de l’asphyxie) j’insérais des éléments de cette théorie. Des caractéristiques de la société des Schtroumpfs m’interpellaient: le faciès de Gargamel qui rappelle des caricatures antisémites, il ne s’intéresse qu’à l’argent; son chat s’appelle Azrael: je sais bien que c’est le nom de l’Archange du Mal, mais c’est aussi une allitération avec Israël. Il y avait aussi des liens avec le communisme: les habits rouges du grand Schtroumpf et l’égalité totale dans laquelle ils semblent vivre. J’ai donc cherché une analyse et j’ai remarqué que personne n’en avait publiée. Cela manquait et ça m’amusait. Donc j’ai publié cet essai.

Et vous êtes maintenant très critiqué...

Entendons-nous bien: je ne me plains pas. Je suis ravi de tout ce battage, mais décontenancé. Ma première réaction a été la surprise devant tant d’intérêt, j’ai déjà publié plusieurs livres et je suis plutôt habitué à passer inaperçu. Puis ça a été l’amusement. Et je me demande si je vais basculer dans l’effroi: j’ai reçu des menaces de mort par mails.

Comment analysez-vous la violence des réactions?

Il y a sans doute un amalgame entre les polémiques moralisatrices sur l’interdiction de Tintin au Congo, ou même dans un autre genre Lucky Luke et sa clope. Les gens ne veulent pas croire que je me suis livré à un exercice intellectuel potache qui ne dénonce ni ne balance rien. Il y a aussi le caractère très affectif du sujet: tout ce qui touche à l’enfance à un côté sacré, c’est comme  si on me criait «touche pas à mes madeleines de Proust». Les gens me voient comme un abruti ou un escroc.

Quel était le sens de cette démarche?

C’était complètement ludique. Quand on passe au crible de la science politique, avec les concepts lourds, violents, que ça implique, une œuvre aussi innocente et sympathique, il y a d’abord une part d’autodérision d’analyste qui se perd dans ses concepts. Mon message c’était de dire: on peut continuer de jouer avec les Schtroumpfs de manière différente que lorsque l’on était enfant. J’ai choisi les sciences politiques: cela aurait pu être l’angle pédagogique: en comparant le village à une classe d’école, avec le maître comme Grand Schtroumpf. Ou sous l’angle marketing: Peyo était l’un des premiers à exploiter le merchandising.

Mais vous ne pensez pas que l’œuvre soit l’apologie du totalitarisme, ou de l’antisémitisme?

Pas du tout. D’ailleurs Peyo était assez peu politisé, et certainement pas partisan des extrêmes. En revanche, la façon dont il concentre des stéréotypes en dit beaucoup sur son époque. Peyo était très avant-gardiste dans son intérêt pour le marketing. Or quand on veut plaire au plus grand nombre, il faut utiliser des codes qui fonctionnent, que le public connaît. C’est intéressant de voir que les codes qui fonctionnaient, voire fonctionnent encore aujourd’hui, ce sont ceux-là. Encore maintenant, pour représenter un méchant, vous faites rarement un grand blond aux yeux bleus… Cette œuvre permet aussi de penser la façon dont les stéréotypes fonctionnent.