« Les gens sont fatigués, être ghosté, ça joue sur la santé mentale », selon la présidente de Happn
INTERVIEW Karima Ben Abdelmalek dévoile comment l’application de rencontres se modernise
- Happn se modernise à travers un nouveau logo et de nouvelles fonctionnalités qui ont pour but d’augmenter les opportunités de rencontres.
- Plus optimiste, plus ludique, l’appli propose désormais une carte sur laquelle sont recensés les lieux favoris des utilisateurs, pour créer encore plus de points communs entre les candidats à l’amour.
- Pour l’occasion, la nouvelle présidente d’Happn Karima Ben Abdelmalek raconte comment son regard de femme a permis de faire évoluer l’application.
Happn se réinvente. Lancée en 2014, cette frenchtech a réussi à se frayer un chemin parmi les monstres du genre aux côtés de Tinder, Bumble ou Badoo. Après une période de turbulences qui s’est soldée par le départ de son fondateur Didier Rappaport en 2021, Happn compte bien rester une appli de rencontres grand public et se réconcilier avec les femmes grâce à ses nouvelles fonctionnalités. A l’occasion de son rebranding, 20 Minutes a rencontré sa nouvelle présidente Karima Ben Abdelmalek. Elle est revenue sur les nouveautés de l’appli (logo, fonctionnalités, « positive thinking »), elle a également souligné l’importance d’amener un prisme féminin dans le monde ultra-masculin de la tech.
En quoi consiste le rebranding de Happn précisément ?
La nouvelle identité est alignée avec les ambitions futures d’Happn, de ramener de la pensée positive autour des applis de dating. La pandémie du Covid-19 a révélé que les gens ont besoin de rencontres. Malgré le ghosting [le fait de disparaître sans donner d’explication] et tout ce que les applis de rencontres ont créé, les gens se sentent seuls. A travers une appli, on peut créer du lien social, peu importe si c’est seulement pour aller boire un verre, l’essentiel c’est d’avoir des interactions dans la vraie vie. Le logo aujourd’hui, c’est deux flèches qui se croisent. Après dix ans, il est important de moderniser cet esprit de rencontre. L’histoire d’Happn, c’est un chemin, un path [chemin, en anglais], c’est l’histoire qu’on vit à travers une rencontre. Vous vibrez quand quelqu’un vous plaît beaucoup. Par moments, vous ne rencontrez personne, c’est le calme plat. L’histoire du path est très importante et il apparaît dans le logo. Le logo intègre aussi le pictogramme de géolocalisation qui reste l’ADN d’Happn. Tout est plus arrondi, moins raide, moins fonctionnel. Deux flèches qui se croisent, c’est très tourné vers la technologie, c’est presque un GPS. Aujourd’hui, on veut raconter une histoire de rencontres. Les chemins que vous croisez dans votre vie et dans votre journée.
Ne changez-vous pas de nom ?
On est très contents de notre nom. La nouvelle application est beaucoup plus colorée. Les gens ont envie de repartir sur une énergie positive dans un contexte de post-pandémie, de crise, de flemme. On essaie d’embellir la rencontre et de redonner de l’espoir aux gens. Après le Covid-19, il y a eu l’inflation, la crise économique, les retraites… Les gens sont fatigués. Le fait d’avoir de la déception dans une rencontre, d’être ghosté, ça joue sur la santé mentale. Il faut redonner des couleurs dans leur quotidien et dans la vie en général. Les gens n’ont plus forcément envie de faire des dates [rendez-vous galants] formelles dans des restaurants et de payer 50 euros le dîner pour quelqu’un avec qui ils n’iront pas plus loin. C’est important d’avoir des lieux de rencontre qui répondent aux différents besoins. On a développé une fonctionnalité autour des lieux favoris. Sur la carte, vous aurez tous les lieux favoris où tous les happners se retrouvent. Ils aiment les mêmes lieux que moi, cela permet de briser la glace. Le lieu fait partie de l’histoire. On sait toujours où on a rencontré une personne.
Vous pouvez rencontrer des personnes qui se comportent mal, comme dans la vraie vie.
Quelle est votre position sur les données personnelles que vous récoltez ?
J’ai voulu intégrer la conformité au RGPD dans la stratégie d’Happn comme un atout et pas comme une obligation légale. On s’interdit de vendre les données personnelles. Notre raison d’être, c’est de créer des rencontres dans la vraie vie en toute confiance. La confiance fait partie de l’écosystème d’Happn, s’il n’y a pas de confiance, l’application ne peut pas marcher car on est sur de la rencontre de proximité. La sécurité est une priorité. On fait du privacy by design. Vous pouvez certifier les profils qui sont sur Happn grâce à la biométrie.
N’y a-t-il pas de faux profils sur Happn ?
Il peut y avoir des faux profils comme sur toutes les applications de rencontre. Vous pouvez rencontrer des personnes qui se comportent mal, comme dans la vraie vie. Notre rôle va être de les détecter le plus tôt possible et de les bannir de l’application. On utilise un logiciel qui va en permanence scanner les profils pour détecter les faux en fonction des photos, s’il y a de la nudité, s’il y a des numéros de téléphone sur les photos, si on vous demande des données bancaires. Grâce à l’intelligence artificielle, on limite la présence de faux profils dans l’application. C’est une priorité. On ne peut pas être basé sur la proximité si on n’a pas confiance.
Tinder avait fait parler pour son algorithme qui notait la désirabilité des utilisateurs, avez-vous un algorithme de ce genre ?
Il n’y a pas ce type d’algorithme. Nous avons un algorithme de croisement. Sur Happn, votre timeline est le reflet de vos habitudes, des lieux que vous fréquentez, des gens que vous croisez dans votre univers. Si vous faites un afterwork, vous retrouvez les personnes que vous avez vues dans l’afterwork. On a développé des algorithmes pour lutter contre la fraude. Il y a un robot qui tourne et qui est aussi intelligent que les bots, dès que les bots deviennent plus intelligents, notre algorithme est entraîné pour reprendre l’avantage. C’est une lutte permanente.
Les femmes aiment rencontrer de manière ludique, elles sont plus à l’aise de liker dans le cadre d’un jeu.
Vous n’avez aucun algorithme qui classe les profils ?
On travaille en recherche et développement (R & D) sur un algorithme qui permet de vous aider à enrichir votre profil. Si vous aimez les animaux, si une photo vous montre sur une voile ou en train de faire un sport, il va vous coacher. Les gens ne savent pas se mettre en valeur. Si vous aimez le sport ou les animaux, ça peut être intéressant pour quelqu’un de le savoir. L’IA va essayer de révéler le côté authentique de chacun. Pour nous, l’IA doit servir notre mission : favoriser les rencontres. En attendant que des textes viennent réguler l’IA, on fait en sorte de l’utiliser dans le cadre de la vision. Il faut que ça serve l’utilisateur et toujours avec de l’éthique.
On dit qu’il y a moins de célibataires hommes que de célibataires femmes dans les grandes agglomérations, pourtant ce sont plutôt les hommes qui utilisent les applis de rencontres. Y a-t-il aussi un déséquilibre entre hommes et femmes sur Happn ?
Cela dépend des pays. Au Brésil, les femmes utilisent énormément les applis de rencontre. L’usage est tellement banalisé que ce n’est plus un sujet. En Inde, il faut encore travailler pour rassurer les femmes. On est là pour donner des opportunités aux nouvelles générations de sortir du cadre familial. En France, on est sur une moyenne du marché, à l’avantage des hommes.
Comment explique-t-on cela ?
Ce rebranding vient justement y répondre. A l’origine l’appli a été conçue par des hommes pour des hommes. Si on dit qu’il faut que la tech se féminise, ce n’est pas pour rien. Les hommes aiment liker/rejeter facilement. Quand j’ai repris la présidence, je voulais faire une fonctionnalité pour les femmes. Les femmes ont sociologiquement une réserve. Une femme ne s’engage pas parce qu’elle a des difficultés à revenir en arrière. Si elle va à un date, elle n’osera pas dire à la personne au bout de 30 minutes qu’elle n’est pas intéressée. Elle n’est dans l’action permanente. Quand elle like, cela n’a pas le même sens que pour un homme. Lui, il le fait sans réfléchir. Elle, elle regarde le profil, la photo, le hobby… Je voulais lancer une nouvelle fonctionnalité qu’on a appelée le hub. C’est un espace où il n’y a pas d’obligation de faire des actions, elle peut explorer des profils en fonction de ses envies. Si elle a envie de voir que des personnes certifiées parce qu’elle se sent plus rassurée, elle peut y accéder. Si elle veut voir les gens qu’elle croise le plus souvent, elle peut. C’est un gage de confiance. C’est peut-être quelqu’un qu’elle croise au boulot tous les jours ou qui habite dans son quartier. Cela fait moins peur que quelqu’un qui habite à des kilomètres. Je voulais que ce soit un espace de jeu, on y retrouve Cruch Time, un jeu de cartes et de hasard. Les femmes aiment rencontrer de manière ludique, elles sont plus à l’aise de liker dans le cadre d’un jeu.
Les questions LGBT, la non-binarité, ce sont des sujets que les boîtes tech doivent intégrer.
Le physique n’est-il pas primordial dans la rencontre ?
Le physique est important mais il ne doit pas être l’élément essentiel. Chez nous, la photo est authentique, on ne veut pas de mauvaises surprises. On essaye d’arrêter de baser la rencontre sur la photo. A travers les nouvelles fonctionnalités, on crée d’autres prétextes de rencontres. On veut créer une histoire avec quelqu’un.
Avec ce rebranding, voulez-vous faire oublier les accusations de harcèlement sexuel qui ont pesé sur l’ancien président ?
On n’oublie rien. Cela fait partie de l’histoire d’Happn. C’est l’histoire d’un fondateur qui s’est mal comporté, l’entreprise est toujours là. Les collaborateurs sont toujours là. L’application a dix ans. Dans le dating, c’est la préhistoire. On est dans la continuité : le fait de capitaliser sur la géolocalisation, de provoquer des crushs en fonction des lieux en commun. Par contre, je suis présidente d’une boîte tech, je suis une femme, je suis quelqu’un d’assez optimiste et j’ai envie que Happn reflète ma vision. Je ne vous cache pas que le bleu était à l’image de l’ancien président. Dans la nouvelle application, j’ai le dynamisme de l’équipe, l’engagement, la pensée positive. Le dating, ce sont des hauts et des bas en permanence, c’est la résilience. Je veux transmettre le côté positif par le design.
Qu’est-ce que vous diriez que votre regard de femme a changé ?
D’abord je suis très sensible à la vie privée. En tant que femme, j’aime être dans des écosystèmes, applications ou services, qui me sécurisent et qui m’inspirent. Mon équipe de direction est composée de plus de 50 % de femmes. Aujourd’hui, on n’est même plus dans le sujet hommes-femmes, on est dans le sujet de l’inclusivité. Les questions LGBT, la non-binarité, ce sont des sujets que les boîtes tech doivent intégrer. On ne cherche pas pour autant à récupérer le marché LGBT, on est là pour tout le monde. Vouloir rencontrer des gens à proximité, la mobilité, c’est un état d’esprit. C’est être prêt à faire un date inopiné quand on sort du boulot. On veut proposer le plus de profils possibles et d’être les plus inclusifs possibles. La porte est ouverte pour tout le monde.