Pour ses 30 ans, « Magic » réinvente la passion à la carte grâce à ses nouveaux joueurs

CULTE Le célèbre jeu de cartes fête ses 30 ans et déploie une stratégie de renouvellement de ses joueurs

Benjamin Chapon
— 
Vue d'artiste autour de l'univers Magic et Seigneur des anneaux
Vue d'artiste autour de l'univers Magic et Seigneur des anneaux — Magali Villeneuve
  • Le jeu de cartes fantastique Magic fête ses 30 ans et fait preuve d’un dynamisme inattendu pour ce hobby dont la communauté était perçue comme déclinante.
  • Les joueurs de Magic ont évolué pour attirer de nouvelles générations.
  • Parallèlement l’éditeur du jeu, Wizards of the Coast, a développé une stratégie d’ouverture vers d’autres univers de la pop culture.

Le vendeur nous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. A deux pas de la boutique, sur la place Jussieu, à Paris, chaque jour, par tous les temps, des joueurs venaient s’échanger… des cartes Magic. Sibyllin pour les non-initiés qui ne comprenaient rien à ses règles, Magic a eu un succès colossal parmi les amateurs de fantasy, ceux d’avant la grande démocratisation du genre. Le jeu fête ses 30 ans cette année, et est toujours en vente dans cette boutique parisienne, même si les « decks » et « boosters » prennent désormais moins de place.

Un couple de quarantenaire au look gothique pop - t-shirt avec un Yoshi zombie pour lui, robe de Morticia à dentelle rose pour elle - entre dans la boutique et se dirige… vers les cartes Pokémon. « Eux, ils auraient pu avoir le profil des joueurs de Magic », sourit le vendeur. Deux ados, un frère et sa sœur, autour de 13 ans, entrent à leur tour et demandent, d’une voix claire et précise, à acheter « dix boosters Dominaria Uni ». Le vendeur est à peine surpris.

Epidémie dans les Yvelines...

L’antique jeu de cartes continuerait donc de séduire au-delà des vieux geeks ? « Il y a toute une nouvelle génération de gamins qui sont mordus, explique Cédric, de la boutique Les Fous du Roy, à Versailles. La transmission peut se faire de père ou mère à enfants, mais pas seulement. Dans un village près d’ici, il a suffi d’un ou deux adultes du centre de loisirs pour contaminer toute une ribambelle de gamins qui ont attrapé la fièvre Magic. »

Abel et Tristan, 10 ans, sont des joueurs passionnés de Magic
Abel et Tristan, 10 ans, sont des joueurs passionnés de Magic - B.Chapon/20Minutes

Chez l’éditeur du jeu, on se félicite également de cette nouvelle vague de joueurs. « Que leur curiosité soit piquée par le style de jeu, complexe mais gratifiant, les illustrations époustouflantes, l’histoire riche de 30 années de narration ou simplement l’aspect collection de Magic, n’importe qui peut trouver une ou plusieurs manières d’apprécier le jeu et partager cette passion avec amis et famille », explique Leslie Michelet, responsable Marketing et Influence de Wizards of the Coast.

« Le jeu a mûri »

Magic a pourtant la réputation d’un hobby coûteux et complexe. Et les joueurs gardent l’image d’une communauté plutôt fermée, très compétitive, voire franchement pénible… « On en est conscients, soupire Romane, joueuse Magic de 45 ans et qui a fondé un club en Isère. J’ai connu l’époque où c’était cool de ne pas se mélanger, les joueurs de Magic appréciaient de se retrouver entre eux, et surjouaient le côté misanthrope, et sexiste ! Aujourd’hui, le hobby et la communauté sont plus accueillantes. Selon moi, ça va aussi avec le fait que les fans de jeux de rôle, de jeux de cartes ou de fantasy sont moins discriminés dans la société. Ça marche dans les deux sens en fait. »

A la boutique versaillaise, Cédric a aussi remarqué que la communauté de joueurs avait changé. «Les joueurs ultra-compétitifs pénibles, on a fait en sorte qu’ils ne viennent plus… Ça reste un jeu, donc il y en a un qui gagne, et un qui perd. Mais aujourd’hui, les joueurs compétiteurs ne s’amusent plus à écraser les autres. Le jeu a mûri… » Et surtout, il y a de la place pour les non-compétiteurs.

De la collection au patrimoine

« Comme le jeu est vieux maintenant, il y a une dimension Collection vraiment intéressante, constate Rémi, qui avait abandonné Magic pendant vingt ans et y revient. On peut suivre les sorties de cartes et acheter celles d’univers qui nous plaisent. Ou compléter une collection plus ancienne. Là, la sortie de La guerre fratricide m'excite beaucoup parce que ça parle aux vieux joueurs comme moi, c'est un épisode culte de l'histoire de Magic. Ce jeu, c’est un patrimoine. Moi j’ai des cartes mais je ne joue presque pas. »

Vue d'artiste dans les univers croisée de Magic et DrWho
Vue d'artiste dans les univers croisée de Magic et DrWho - Alexander Gering

Si les « vrais » joueurs de Magic lèvent les yeux au ciel quand on leur parle de ce genre de collectionneurs, Cédric note que de plus en plus de joueurs « refusent de dépenser des centaines d’euros pour Magic. C’est un jeu qui a la réputation d’être un pay-to-win, celui qui a dépensé le plus peut aligner les meilleures cartes, et gagnera donc… Des joueurs ont contourné ça en inventant des systèmes de jeu, comme EDH ou Pauper, qui ne favorisent pas les joueurs qui dépensent le plus d’argent. »

Vitalité post-Covid

L’éditeur du jeu a aussi encouragé cette mutation, quitte à se fâcher avec de vieux joueurs. « Les dotations en tournoi ont fondu, constate Cédric. Avant, on pouvait gagner sa vie en jouant à Magic. Et puis le Covid a fini d’achever tout ça. » En revanche, les confinements sanitaires ont permis de développer le jeu en ligne.

« Je pense que l’augmentation visible des conversations sur notre jeu provient de multiples facteurs, analyse Leslie Michelet, de Wizards of the Coast. Parmi ceux-ci, je considère que la sortie de Magic : The Gathering Arena, une version du jeu en free-to-play disponible sur PC et Mobile, ainsi que la succession de confinements durant la pandémie de Covid-19 ont été les plus influents. »

La pop culture, c'est Magic

Ainsi, comme pour de nombreux autres secteurs culturels, la pandémie et les confinements ont paradoxalement permis de diversifier et élargir la communauté Magic. A ce phénomène il faut ajouter le sens du marketing aigu de Wizards of the Coast qui édite, depuis plusieurs années maintenant, des cartes Magic aux couleurs d’autres franchises pop culture. Il y a eu Stranger Things, The Walking Dead puis Donjons & Dragons, Fortnite et récemment une collection dessinée par le rappeur Post Malone !

Cartes Magic dans l'univers Fortnite
Cartes Magic dans l'univers Fortnite - Wizards of the Coast

« Ces partenariats avec des grands noms de la pop culture démontrent que Magic a une place toute trouvée au sein de celle-ci, s’enthousiasme Leslie Michelet. Nos fans ne sont pas seulement des fans de Magic, et les fans de ces franchises sont aussi ou peuvent aussi devenir des joueurs de Magic… Nous avons compris qu’il y avait beaucoup de similitudes dans les centres d’intérêt de ces communautés et étant nous-mêmes des fans de ces franchises, il n’y a rien de plus excitant que de participer à la création d’un crossover. »

Une communauté pour les gouverner tous

La dimension marketing du procédé n’échappe pas aux joueurs de Magic qui apprécient pourtant assez unanimement ces séries spéciales. « On ne prend pas forcément ces cartes pour les jouer mais pour l’aspect Collection, explique Romane. C’est sympa qu’il y ait des ponts entre les différentes passions. Les joueurs de Magic sont très attachés aux arcs narratifs issus de Magic, mais on a tous regardé Stranger Things et lu le Seigneur des anneaux, donc… »

NRetour dans la boutique parisienne où les jeunes joueurs de Magic avisent justement les cartes créées dans un univers Seigneur des anneaux : « C’est le truc de tonton avec Gandalf, là… » Le couple de « vieux » collectionneurs de Pokémon engage la conversation : « Ce qui nous a toujours freinés, c’est le système de jeu qui semble complexe, mais c’est vrai que les cartes sont belles. Ce serait marrant un deck Magic Pokémon un jour ! »