« La promesse de Zombicide c’est de pouvoir buter un million de zombies sans passer pour un taré ! »
JEUX en société (4/5) Le jeu de figurines coopératif, « Zombicide » fête ses dix ans avec une nouvelle édition. A la veille du Festival international des jeux de Cannes, ses trois créateurs expliquent à « 20 Minutes » ce qui rend ce jeu si spécial
- Le Festival international des jeux se tient à Cannes de vendredi à dimanche dans un contexte de succès populaire croissant pour le secteur du jeu de société.
- A cette occasion, 20 Minutes consacre une série d’articles sur le monde du jeu et les questions qui l’animent.
- Aujourd’hui, les trois auteurs du cultissime jeu de figurines Zombicide nous expliquent comment leur création ludique est toujours en pleine forme dix ans après sa naissance.
« On fait quoi ce soir ? - Ho ben moi, je propose qu’on défonce du zombie par paquets de douze… - Mmmm, ok, j’amène du cidre. » Voilà un dialogue, semi-fictif, qui, depuis dix ans, revient très régulièrement parmi la communauté des adeptes de jeux de société. Dix ans que Zombicide domine outrageusement le monde du jeu de plateau avec figurines.
Le principe est simple, mais il fallait y penser : un jeu coopératif - toutes et tous contre les zombies - et modulable à l’infini, ou presque. Le succès du jeu a été tel qu’une seconde édition est sortie en 2022, après de nombreuses extensions. A chaque nouvelle boîte créée pour accompagner Zombicide, les records de financement participatif tombent.
Un jeu pour survivre
Trois hommes se cachent derrière ce succès colossal : Nicolas Raoult, Raphaël Guiton et Jean-Baptiste Lullien. Et étrangement, à l’origine, ils ne sont pas fans absolus de zombies : « Nous, à la base, les zombies nous font peur, mais un peu rire aussi. » Alors qu’une nouvelle boîte, intitulée Undead or Alive, vient de sortir, ils ont accepté de revenir pour 20 Minutes sur l’aventure Zombicide.
« On s’est lancé dans Zombicide à un moment où la boîte pour laquelle on bossait venait de couler, raconte Jean-Baptiste Lullien. Avec Nico, on était les deux seuls game designers salariés d’une entreprise à ce moment-là. On s’est lancé dans ce jeu uniquement pour continuer à travailler ensemble. C’était le seul espoir. »
« A part l’envie de travailler ensemble, l’idée de base est venue rapidement, raconte Raphaël Guiton. On a cherché un thème porteur. A ce moment-là, il n’y avait pas encore la grande vague zombie mais ça commençait. Et puis surtout on s’est très vite lancé sur un jeu coopératif. » Si ce mode de jeu est depuis devenu monnaie courante sur les tables de jeu, en 2010, surtout pour un jeu de figurines habituellement réservé aux gros joueurs, c’est inédit. « C’est venu de ce qu’on vivait tous les trois à ce moment-là, de notre esprit de corps. »
Des figurines horriblement haut de gamme
Après deux ans de conception du jeu, la bande lance le financement participatif. Là aussi, même si c’est aujourd’hui la norme pour lancer les jeux de faire appel à des communautés de fans de préacheter le jeu, en 2011, c’est plutôt novateur. Le succès est immédiatement au rendez-vous avec un effet de curiosité complètement dingue.
« Pour ce jeu, on voulait absolument de belles figurines, très haut de gamme, explique Nicolas Raoult. Mais le beau matériel, c’est cher. Heureusement que le financement participatif a fonctionné, vous avez échappé à un Zombicide avec des pions en carton. » Au lieu de ça, Zombicide est réputé pour la qualité de ses figurines variées et expressives qui permettent une immersion dans l’univers zombie.
« Ça a l’air d’un truc de gamers snobs mais avec belles figurines, on a envie de sortir le jeu, et nous, on voulait faire un jeu qui marche, auquel on ait envie de beaucoup jouer », abonde Raphaël Guiton.
Des zombies qui marchent mais pas n’importe où
S’ensuivent dix ans de succès avec des dizaines d’extension, une gamme fantasy, une autre futuriste, et des centaines de figurines alternatives allant puiser dans l’imaginaire zombie. « En dix ans, on n’a toujours pas le sentiment d’avoir épuisé le truc, rigole Jean-Baptiste Lullien. On exploite l’imaginaire collectif autour des zombies, colporté par les films, les série ou les BD. Mais on ne peut pas tout adapter parce qu’il faut que ça fonctionne sur un plateau. Par exemple, on avait imaginé un Zombicide dans une fête foraine ou un embouteillage géant, mais c’était naze. »
L’autre limite, c’est la politique. « Nos zombies sont neutres, ils ne véhiculent aucun discours, explique Nicolas Raoult. Ils ne sont pas humains, ils ne représentent rien ni personne, ils sont juste là pour se faire dégommer en toute impunité. La promesse de Zombicide c’est de pouvoir buter un million de zombies sans passer pour un taré ! »
« Tension dramatique » et « rigolade »
Pourtant, il y a des frontières que Zombicide ne peut pas franchir. « On ne pourrait pas imaginer un Zombicide ambiance vaudou à la Nouvelle-Orléans. On est beaucoup distribué aux Etats-Unis et là-bas, ce serait perçu comme irrespectueux, voire raciste. »
Or, la polémique ou la prise de tête, ce n’est absolument pas l’esprit de Zombicide. « L’équilibre que l’on doit trouver, il est entre la trouille, ou plutôt la tension dramatique, et la rigolade, selon Raphaël Guiton. Dans une bonne partie, on passe de l’un à l’autre en permanence. C’est pour ça qu’on teste beaucoup les parties avant, pour que ce soit suffisamment difficile pour qu’on ait ce petit frisson "mince, on est débordés, les zombies vont nous bouffer", sans que le jeu soit impossible à finir, sinon c’est frustrant. »
« Cet équilibre est humain, c’est celui de nos personnalités à tous les trois, reprend Jean-Baptiste Lullien. On n’a pas tous les mêmes façons de jouer. Mais Zombicide, c’est l’alchimie de nos trois cultures ludiques. »
Des zombies dans l’air du temps
Mais alors pourquoi le trio a-t-il ressenti le besoin de créer une seconde saison du jeu, avec un tout nouveau système ? « Il ne s’agissait pas de dépoussiérer Zombicide mais de l’adapter aux nouvelles manières de jouer, explique Nicolas Raoult. Un temps d’installation plus rapide, des parties un peu plus courtes et intenses. Avec le nouveau Zombicide, vous tuerez toujours autant de zombies, mais dans un temps plus court ! C’est pour ça qu’on a viré la poêle à frire avec laquelle débutaient les personnages, pour entrer plus vite dans le vif du sujet : tuer des zombies. »
L’autre innovation consiste à renforcer l’aspect coopératif. Dans la nouvelle version, si un personnage meurt, tout le monde perd. « On fait des choix ensemble, on fait attention les uns aux autres… On aime bien développer cet aspect-là du jeu qui était déjà là, explique Raphaël Guiton. Sans aller vers le jeu de rôle, on a aussi accentué l’aspect narratif avec des campagnes plus développées. Là aussi, ça crée de la tension. »
Mais à l’heure où les fictions dystopiques utilisent l’apocalypse zombie comme une métaphore de la ruine de l’humanité, comment se situe Zombicide ? « Pour nous, l’apocalypse zombie n’est pas forcément qu’une dimension négative, rigole Nicolas Raoult. Notre jeu exploite l’aspect cathartique et positif du fait de pouvoir se défouler en survivant. »