Le premier concert de jazz en Europe, c’était à Nantes il y a 100 ans tout pile (et c’était la folie)

MUSIQUE Matthieu Jouan, commissaire de l'événément 100 ans jazz, raconte le premier concert de jazz sur le sol européen. C'était le 12 fevrier 1918 à Nantes...

Propos recueillis par Julie Urbach
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James Reese Europe et les Harlem Hellfighters
James Reese Europe et les Harlem Hellfighters — Underwood & Underwood. National Archives at College Park - Still Pictures
  • Ce lundi soir, un concert hommage sera donné à Nantes pour célébrer le centenaire du jazz en Europe.
  • Un style importé par le lieutenant et musicien James Reese Europe après le débarquement des Américains à Saint-Nazaire…

Ce lundi soir, le théâtre Graslin à Nantes affichera complet pour le «concert du siècle », qui célèbre le centenaire de l’arrivée du jazz en Europe. Le 12 février 1918, il y avait déjà du monde et de l’ambiance pour le premier concert du genre, donné à Nantes par les Harlem Hellfighters, comme le raconte à 20 Minutes Matthieu Jouan, commissaire de l’événement «100 ans jazz» (qui se déroule jusqu’au 11 mars à Nantes).

Pourquoi le premier concert de jazz a-t-il été joué à Nantes ?

C’est une succession de hasards. En 1918, le lieutenant James Reese Europe et son régiment ont débarqué à Brest et ont rejoint Saint-Nazaire. Ces soldats, des musiciens très connus aux Etats-Unis, étaient voués à attendre puisque l’armée américaine ne mettait pas d’hommes noirs au combat, considérés comme incapables de se battre. L’orchestre a été appelé pour jouer à Aix les Bains dans une base américaine le 15 février mais s’est arrêté sur le chemin. Paul Bellamy, le maire de Nantes de l’époque, avait invité le groupe à se produire à une soirée de charité avec d’autres orchestres, des numéros de jonglage…

Que s’est-il passé ce soir-là ?

On pense qu’ils sont remontés à pied depuis la gare jusqu’à la place pleine de monde, tout en jouant. Ensuite, au théâtre Graslin, l’accueil a été très bon, immédiatement. Le public était par terre, c’était la folie. A tel point qu’on a dû expliquer aux musiciens que si les Français sifflaient c’était parce qu’ils étaient contents ! Il y a des écrits qui racontent qu’il y a eu un petit moment de flottement car se faire siffler, aux Etats-Unis, c’est plutôt mauvais signe… On a plein de témoignages de ces soldats ravis de l’engouement pour la musique mais aussi du fait qu’il n’y avait pas de ségrégation en France. Ils étaient considérés ici comme des hommes et non comme des sous citoyens.



Comment le jazz s’est-il répandu ?

A l’époque, comme il n’y avait pas de radio, il y avait des orchestres dans chaque bar ou hôtel ! Aux quatre coins de la place Graslin se trouvaient des brasseries avec terrasses. Avant 1918 ils jouaient des grands thèmes pour que les gens mangent en musique mais après avoir entendu les Harlem Hellfighters, les groupes ont dû récupérer des partitions et commencer à jouer du jazz, à mon avis dès le lendemain. Ensuite tout est allé vite, d’autres groupes sont revenus après la guerre, il y a eu Sidney Bechet, Louis Armstrong, et ça n’a pas arrêté…

Quel est l’hommage musical prévu ce soir ?

On va rejouer les morceaux du 12 février avec des airs connus et plus contemporains, comme l’avaient fait les Harlem Hellfighters à l’époque. On va faire un peu d’archéologie musicale car il y a 100 ans, James Reese Europe passait des heures à écrire les partitions de ragtime de ses musiciens. Aujourd’hui, dans un big band, il y a des thèmes mais une grosse place est laissée à l’improvisation. Et bien sûr, ce n’est plus la même façon d’arranger les instruments.