Victoires de la musique 2018: La fête ne fait que commencer pour Orelsan
MUSIQUE Grand favori des Victoires qui auront lieu ce vendredi, le rappeur est nommé dans trois catégories : « artiste masculin de l’année », « album de musiques urbaines » et « création audiovisuelle »…
« Je me suis rendu compte que dans ma vie, je ne suis pas le "monsieur" que je voulais être. Je ne suis pas si à l’aise que ça avec moi-même, je n’ai pas la solution à toutes les questions ! ». Quand 20 Minutes l’avait rencontré en octobre dernier pour la sortie de son album La fête est finie, Orelsan ne savait pas que les mois à venir lui laisseraient probablement peu de temps pour douter de lui-même. Depuis cette rencontre, son 3e album solo s’est vendu à 370.000 exemplaires, est devenu triple disque de platine, et le clip de Basique, le premier titre de La fête est finie, enregistre plus de 46 millions de vues sur YouTube. Sans oublier une tournée que le rappeur a commencée début février. Et ce n’est pas fini.
Ce vendredi, l’artiste est présenté comme le grand favori de la 33e cérémonie des Victoires de la Musique, cumulant des nominations dans trois catégories : « artiste masculin de l’année », « album de musiques urbaines » et « création audiovisuelle ». 2018, année de la consécration pour Orelsan ? La fête est en tout cas loin d’être finie pour le Normand, et il faut dire qu’elle a commencé il y a un sacré bout de temps.
Ses potes et ses collaborateurs nous aident à percer le mystère Orelsan.
La lose, le vague à l’âme et la glande
« Orelsan a été pour moi une vraie claque artistique comme on n’en a pas souvent, se remémore Stéphane Espinosa, qui a découvert l’artiste via son MySpace et l’a signé il y a dix ans chez Wagram. Il avait une vraie écriture qui mélangeait humour, profondeur, modernité, il apportait une vision de la société que personne ne donnait à ce moment-là. Il parlait des gens dont personne ne parlait, de la province, de la classe moyenne. » Sa province, c’est Caen, où dès la fin des années 1990, Aurélien Cotentin, de son vrai nom, balance ses premières punchlines et raconte les états d’âme de sa « génération GameBoy [qui] sniffe plus de lignes qu’à Tétris », tel qu’il le racontera plus tard dans Changement, l’un des titres de son premier album Perdu d’avance (2009).
Adepte de glisse et grand fan de la culture manga, Orelsan est à l’époque un garçon « lunaire », se souvient Gringe, son acolyte des Casseurs Flowters et de la série Bloqués. « Il réussissait à se faire remarquer malgré lui, et a toujours cultivé cette différence. L’une des premières fois que je l’ai vu, ça m’a marqué, il portait un ensemble militaire cambodgien. Il était toujours à contre-courant, dans l’attitude, les vêtements, le rap… Un univers très marqué, et un peu maladroit. » Ses thèmes de prédilection ? La lose, le vague à l’âme, la glande ou encore l’absurdité du monde adulte. « Orelsan est l’un des premiers rappeurs blancs, de classe moyenne, à être venu en racontant sa vie et la réalité de plein de jeunes, sans filtre », analyse Gringe. Sans filtre, aucun…
Sensibilité et egotrip
« Suce ma bite pour la Saint-Valentin » (Saint-Valentin), « tu es juste une putain d’avaleuse de sabre/une sale catin/un sale tapin (Sale pute), le rappeur qui cultive une image d’ado attardé se fait dans un premier temps connaître pour son lyrisme très imagé. Un penchant pour le cru qui lui vaudra plusieurs procès intentés par des associations féministes, et des annulations de concert en série à la sortie de son premier album. Une façon plutôt risquée pour se lancer sur le marché. « Ça lui est tombé sur le coin de la gueule, mais ça a peut-être été aussi formateur, estime Gringe. Il a un peu cultivé le goût de la provoc, Sale pute, il savait que ça pourrait être critiqué. Il a un peu un côté nihiliste ».
Mais le Normand sait bien mener sa barque. Après la tempête, vient le beau temps. Son deuxième album, sorti en 2011, propulse Orelsan sur le devant de la scène. Un artiste plus assagi, mais qui conserve néanmoins un malin plaisir pour la rime trash. Mêlant des chansons corrosives comme Suicide social et des titres plus mainstream comme La terre est ronde, Le chant des sirènes obtient l’année suivante, la Victoire de « l’album de musiques urbaines ».
Orelsan impose alors sa patte, sorte de fragile équilibre entre indolence et provocation, sensibilité et egotrip. « Orel a l’art de se magnifier, puis de se saboter juste derrière. Il a des failles narcissiques, un besoin de reconnaissance et d’amour qu’il a comblé avec la musique, mais il a aussi beaucoup d’autodérision, » décrypte son compère Gringe. Sans oublier un goût certain pour le labeur.
Basique et « Musashi »
Car depuis Sale pute, Orelsan a fait un bon bout de chemin, et a même lancé sa marque de fringues, Avnier, en 2014. « L’adulescent » ne chôme pas. « Tu ne fais pas un film, 4 tournées, une série, une marque de vêtements, des albums… en restant dans ton canapé, explique Guillaume Brière (The Shoes), l’un des producteurs de son dernier album. Il s’intéresse à tout et veut être pointu dans tout ce qu’il fait. Il a une grande capacité d’adaptation, il investit chaque parcelle. » Et la dernière en date, La fête est finie, en est la preuve même.
À commencer par le lancement de son dernier album, à la fois simple et spectaculaire, grâce au clip de Basique, un plan séquence tourné sur un pont en construction en Ukraine.
Au tout dernier moment, Orelsan et Skread (compositeur, producteur, et ami du rappeur qui travaille avec lui depuis toujours), décident de former la date de sortie de l’album avec les 300 figurants.
Le hic ? La date de sortie n’est pas encore définitive… « On a croisé fort les doigts pour que ce soit cette date, parce qu’on ne pouvait pas faire deux prises. Orelsan disait qu’au pire, ça ferait une blague ! », confie Greg, du duo Greg & Lio, les réalisateurs du clip, nommés aux Victoires. Mais le risque paye, et le rappeur fait un retour en fanfare. Le point fort de l’artiste ? Ne jamais être là où on l’attend. « Il est vraiment dans le brainstorming, explique Lio, il balance plein d’idées, il ouvre des portes, il a l’esprit super ouvert et n’hésite pas à passer d’un univers à un autre. » D’où le succès de ce troisième album, mi-rappé, mi-chanté, synthèse de son âme d’ado et de ses tourments d’adulte.
Mais aussi la raison pour laquelle Orelsan est difficile à cerner, comme bloqué dans un éternel entre-deux. Et si ses proches ont accepté avec plaisir de se livrer sur le rappeur, lui, se fait discret, concentré sur les premières dates de sa nouvelle tournée, peu enclin à parler de lui-même. On a même essayé, en vain, d’entrer en contact avec Musashi, son chat adoré, pour lequel il achète des mangas de combats de rue de chats (nous ne révélerons pas nos sources concernant cette information). Et si c’était lui, la clé du succès d’Orelsan ? Le mystère reste entier.