A Nuit Debout, quelle musique pour «questionner le monde»?

ENGAGEMENT Ce dimanche, l’Orchestre debout interprète le Boléro de Ravel, son troisième concert place de la République....

Claire Barrois
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Les contrebasses de l'Orchestre debout le 30 avril, sur la place de la République.
Les contrebasses de l'Orchestre debout le 30 avril, sur la place de la République. — Lewis Joly / Sipa

Ce dimanche, l’Orchestre debout joue pour la troisième fois sur la place de la République. Après avoir interprété la Symphonie du Nouveau monde, l’Hymne à la joie et le « Chœur des esclaves » extrait de l’opéra Nabucco de Verdi, les musiciens s’attaquent au Boléro de Ravel et à la chanson « Bella Ciao ». Mais selon quels critères les musiciens de Nuit debout choisissent-ils les œuvres qu’ils proposent au public ?

Le partage

« On joue toujours pour quelqu’un, déclare d’office Clément, hautboïste de 29 ans, le fondateur de l’orchestre. Nous voulons rassembler les gens présents sur la place et leur faire profiter d’une part de la culture souvent peu accessible. » Sont donc prioritaires des œuvres plutôt grand public qui évoquent quelque chose à l’auditoire afin de donner lieu à un moment de communion. « Le 20 avril, l’émotion était très forte parce qu’il y avait une part d’imprévu, une part de défi, de réalisation commune… C’était une belle aventure collective qui a fonctionné musicalement », estime Clément. « Nous jouons un répertoire de qualité et des chansons pour parler à tout le monde, estime Perrine, une altiste de 29 ans qui a participé aux deux premiers concerts. La musique choisie est fédératrice et c’est l’essentiel. »

L’ouverture

La commission d’organisation milite aussi pour que des musiciens de tous bords puissent rejoindre le groupe. « Nous essayons d’innover sur le répertoire de l’orchestre pour qu’il inclue des instruments qui n’y ont pas leur place habituellement, ajoute-t-il. Nous incluons des saxophones, des accordéons. Nous voulons permettre à un maximum de musiciens de tous horizons de nous rejoindre. » C’est d’ailleurs après une jam session improvisée à la fin du dernier concert avec les autres musiciens présents sur la place sur « Bella Ciao » que l’orchestre a décidé de l’intégrer à son programme.



L’image

Clément a eu l’idée de fonder cet orchestre parce qu’il participait à Nuit debout et n’aimait pas l’image négative qui collait à la peau des manifestants. « Au départ, nous venions supporter Nuit debout au niveau médiatique, précise-t-il. Nous nous sommes dit qu’une symphonie serait difficilement attaquable comme un repère de brigands, la manière dont était vu le mouvement. » Mais ce soutien reste difficile à organiser, surtout depuis que la préfecture a interdit de « faire du bruit par quelque moyen que ce soit » après 22 h. Qu’importe, les concerts auront désormais lieu à 15 h.

La symbolique

Pas besoin de chercher longtemps le message caché derrière la Symphonie du Nouveau monde, il est dans le titre. « J’ai une lecture politique de ce que nous faisons, assure Fanny, 35 ans, une violoniste membre de la commission d’organisation de l’Orchestre debout. Mais chacun ne met pas le même degré de politisation dans l’orchestre. Certains nous ont opposé que la symphonie du Nouveau monde était un hommage aux Etats-Unis, le symbole du capitalisme que combat ce mouvement. Pour moi cette réflexion est complètement anachronique. » En revanche, en plein débat sur la loi Travail, l’interprétation du « Chœur des esclaves » a fait l’unanimité.

Le message politique

Avec le Boléro de Ravel interprété ce dimanche, le message est moins clair. Si Clément est enthousiaste à l’idée de pouvoir, pour la première fois « enfin le jouer parce que c’est gratuit », il ajoute que la question des droits d’auteur, longuement débattue sur la place, est au cœur de ce choix : « Je trouve qu’il y avait un problème avec le fait qu’il soit difficile d’écouter cette œuvre aujourd’hui parce qu’il fallait payer pour la jouer. » Fanny va un peu plus loin dans l’analyse. « Certains, comme moi, voient aussi une manière de questionner le monde dans ce que nous faisons. Et pour le Boléro, la manière dont les droits d’auteurs ont été gérés est scandaleuse. Il était grand temps que cette œuvre tombe dans le domaine public ! »

La démocratie

L’Orchestre debout, comme Nuit debout, a un fonctionnement horizontal. Mais comment faire jouer plus de 300 musiciens ensemble sans chef ? La question a été longuement débattue, en assemblée comme sur le groupe Facebook, et la solution s’est avérée plus simple que prévue. « Nous avons décidé d’être dirigés par des membres de l’orchestre qui ne peuvent prendre la baguette qu’une fois pour une seule œuvre, explique Fanny. Et pour la parité, nous alternons les hommes et les femmes. » Et la commission d’organisation, composée de quinze membres, multiplie les sondages pour respecter l’avis de la majorité sur un maximum de questions. « Nous sommes consultés sur le choix du programme, la possibilité de demander à des danseurs de nous rejoindre, etc. », précise Perrine.

La facilité d’interprétation

Les musiciens présents sur la place viennent de divers horizons et ont des niveaux techniques assez disparates. « La première fois, nous étions environ 300 musiciens. La deuxième, 350 avec les choristes, estime Fanny. Il y a de tout parmi les profils des musiciens. » Ce que confirme Clément : « Nous avons ressenti un grand enthousiasme. Des professionnels se sont déplacés pour jouer avec les amateurs, ce qui est très rare. Nous avons senti que les participants étaient vraiment mus par l’amour de la musique. » Choisir des œuvres connues du grand public et qui ont donc l’autre avantage d’avoir été beaucoup jouées et écoutées par les musiciens, ce qui facilite leur mise en place rapide.