Le glitch transforme le bug en art
DATA Les artistes veulent détruire la perfection de l’image pour rappeler l’existence des machines…
Le glitch, c’est ce qui vous donne envie de tapoter le coin de votre ordinateur pour que l’image redevienne normale. C’est une erreur d’affichage, un incident de parcours à l’intérieur de la machine. Concrètement, l’image sur l’écran est comme rayée, abîmée ou pixelisée.
« On ne sait pas ce qui se passe vraiment quand un glitch se produit, je le vois comme un vide de connaissance. Une étrange dimension où les lois de la technologie sont soudain très différentes de ce que je connais », écrit l’artiste néerlandaise Rosa Menkman dans un manifeste du glitch art rédigé en 2010.
Le terme apparaît pour la première fois en 1960 dans la célèbre revue américaine Time Magazine. Il est défini comme « un mot d’astronaute pour décrire des bruits irritants. » Le glitch a d’abord sévi sur les écrans cathodiques avant de s’inviter dans le monde numérique : à la télévision ou sur le minitel, l’erreur n’était pas rare. « L’engouement vient du jeu vidéo. La communauté s’amusait à chercher les bugs dans l’image », explique Carine Le Malet, responsable de la programmation artistique au centre de création numérique Le Cube. Toujours à l’œuvre aujourd’hui, les « gamers » partagent leurs trouvailles glitchées, les accidents numériques.
Faire réapparaître les machines
Depuis le début des années 2000, les artistes se sont saisis de ces erreurs pour en faire une critique de la perfection numérique. Le glitch art est né. « C’est un peu comme la culture punk des années 1970, qui était une réaction face au disco, une musique bien organisée. Là, on a de l’image en 4K, en haute définition… Le glitch art détruit tout ça, déconstruit l’image bien propre », explique Mathieu Saint-Pierre, créateur du Glitch Artist Collective en 2012, un groupe Facebook qui rassemble plus de 37 000 adeptes du mouvement.
Si certains apprécient l’esthétique glitch, des artistes en ont fait un mouvement radical. Leur objectif, c’est comprendre comment fonctionnent les outils, pour les détraquer et reprendre le pouvoir sur eux. Montrer qu’il y a des intermédiaires entre Internet et nous par exemple, révéler les étapes invisibles, la « boîte noire ». « Il faut ramener du bug, se rappeler que ce sont des machines, avec des logiques marchandes. » Benjamin Gaulon est artiste, chercheur et professeur à l’école d’art et de design Parsons.
Jouer avec le code de l’image
Comme un fait exprès, il s’est lancé dans le glitch par accident… « Un jour, sur mon ordinateur, j’ai jeté un fichier par erreur dans ma corbeille. En récupérant ce fichier, il était glitché. L’analogie m’a amusé : comme un papier qu’on met à la poubelle, celui qu’on récupère est tâché. J’ai essayé de reproduire cet accident. » Il crée alors un programme en ligne pour transformer n’importe quel document. « Ça s’appelle Corrupt, en référence à corruption de fichier et à la corruption politique », explique-t-il. Aujourd’hui le site est toujours en ligne et permet à tout le monde de mettre un peu de fun dans des photos en les déconstruisant !
Mais pas besoin d’être un pro du code pour glitcher vos photos de famille. De nombreuses applications existent pour glitcher n’importe quelle image. « Je suis incapable de savoir ce qu’il y a dans un ordinateur », sourit Mathieu Saint-Pierre. Sa technique ? « Je prends des clips vidéos, je choisis une image, et je la déconstruis totalement grâce à une application. »
Un mouvement étendu à la publicité
Le glitch art est protéiforme puisqu’il s’étend à d’autres domaines que l’image figée. Les artistes glitchent des gifs, des vidéos (notamment la plateforme YouGlitch de Benjamin Gaulon) ou même de la musique. C’est le « circuit bending », qui consiste à court-circuiter des instruments électroniques pour créer de nouveaux sons.
Rançon du succès, le glitch art a été utilisé par Kanye West dans le clip de son morceau Welcome to Heartbreak pour symboliser la destruction d’une relation amoureuse.
Le glitch devient même un courant de pensée. Dans son manifeste, Rosa Menkman le décrit ainsi : « Foucault disait qu’il n’y a pas de raison sans folie (…) et Virilio écrivait que les accidents sont inhérents à la progression technologique, je pense que ce flux ne peut pas fonctionner sans « glitch ». C’est pourquoi nous avons besoin des glitch studies. »
A vous de glitcher !
Benjamin Gaulon décrit un procédé « simple » et accessible à tout le monde. En ouvrant une image avec un éditeur texte (Wordpad ou Word), un code apparaît. Il suffit alors de le transformer à votre guise : y insérer une poésie de Rimbaud ou copier-coller certaines parties. Puis enregistrer à nouveau en format image. Sans être sûr du résultat à l’arrivée… « Je ne maîtrise pas forcément ce qui va sortir. Ce qui m’intéresse c’est la stratégie du glitch ». A vous de glitcher et de nous envoyer vos plus beaux chefs-d’œuvre !