« Tori et Lokita » : Les frères Dardenne assument les risques pris par leurs jeunes acteurs débutants

DRAME Sur le destin de deux jeunes exilés africains en Belgique, Jean-Pierre et Luc Dardenne réalisent un film, en salles ce mercredi, qui appuie là où ça fait mal

Stéphane Leblanc
Comment les frères Dardenne ont dirigé leurs jeunes acteurs dans Tori et Lokita — 20 Minutes
  • « Tori et Lokita » a remporté le Prix du 75e Festival de Cannes.
  • C’est la première fois que les frères Dardenne font appel à de jeunes néophytes pour incarner les deux rôles principaux du film : des mineurs non accompagnés, exilés d’Afrique en Belgique.
  • « Tori et Lokita » est à la fois un film d’aventures, un film de suspense et un film de dénonciation de la violence que subissent des enfants pris au piège d’un destin auquel ils n’ont aucune chance d’échapper.

Un film avec des enfants n’est pas forcément un film pour enfant. Tori et Lokita, le nouveau film des frères Dardenne auréolé du Prix du 75e Festival de Cannes raconte l’histoire de deux jeunes exilés africains, « mineurs non accompagnés » qui, après avoir traversé l’Afrique et l’Europe, ne doivent leur survie qu’à leur amitié réciproque et leur solidarité sans faille. Un film d’aventures riche en suspense pour lequel Luc et Jean-Pierre Dardenne ont, pour la première fois, pris le risque de confier les deux rôles principaux à de jeunes néophytes, les formidables Pablo Schils et Joely Mbundu.

Des réalisateurs à la réplique

Impossible pour les deux frères de se reposer cette fois sur un Olivier Gourmet qui les avait aidés à diriger Jérémie Renier dans La Promesse, ou sur une Cécile de France avec Thomas Doret pour Le Garçon au vélo. « On a fait ce qu’on ne fait pas d’habitude, raconte Luc Dardenne à 20 Minutes. On a joué un peu nous-mêmes ». En leur donnant la réplique, en les guidant pour trouver le bon geste ou la bonne posture devant la caméra. Parfois, le jeune Pablo Schils suggérait des « contre-propositions qui étaient de bonnes propositions, souligne Jean-Pierre Dardenne. Il a participé comme ça à la construction de son personnage et ça lui a donné confiance ».

Luc Dardenne prend exemple sur une scène où Tori doit réveiller Lokita qui dort. « Il ne voulait pas se coucher à côté d’elle, de peur que des images se retrouvent sur les réseaux sociaux. Alors, il réfléchit et dit : "Et si je mettais mes mains sur elle, comme ça ?" Mais il touchait presque son sein ! » L’anecdote serait amusante si le film n’était aussi âpre, dur, cruel. « Il faut avoir les nerfs solides pour jouer ce qu’ils jouent, concède Jean-Pierre Dardenne. C’est toujours la crainte qu’on a quand on commence à travailler, parce qu’il faut du plaisir. Avec des acteurs débutants, un tournage ne doit pas devenir un examen permanent. »

Une réalité terrible

Les Dardenne s’estiment heureux d’avoir trouvé « deux gamins avec beaucoup de caractère, beaucoup d’autonomie, et de la classe » pour dénoncer sans emphase la violence subie par ces jeunes exilés pris au piège d’un destin auquel ils n’ont aucune chance d’échapper.

« En Belgique, mais aussi dans toute l’Europe, des centaines de jeunes migrants disparaissent des radars de la police et des services sociaux, expliquent-ils. Non parce qu’ils sont partis en Angleterre ou qu’ils sont renvoyés chez eux, mais parce qu’ils tombent dans la clandestinité ou parce qu’ils sont tués et que personne ne réclame le corps d’un mineur non accompagné et sans famille. Quand on se permet dans une société de tuer un enfant, quelle que soit la manière dont ça arrive, on peut dire que ça ne va pas. C’est une réalité terrible, comme toutes celles qu’on a toujours cherché à raconter. »