Canal +, Netflix… La chronologie des médias résistera-t-elle longtemps à la pression?

CINEMA Confrontée à une hémorragie d’abonnés en France et à la concurrence croissante de Netflix et Amazon, Canal + veut pouvoir diffuser les films 6 mois après leur sortie en salles…

Laure Beaudonnet
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Illustration d'une salle de cinéma
Illustration d'une salle de cinéma — FRED DUFOUR / AFP

La chronologie des médias dans le monde du cinéma, c’est un peu comme la dispute sur les tâches ménagères d’un vieux couple, elle revient régulièrement sur la table et finalement rien ne change. En gros, certains voudraient redéfinir, si ce n’est remettre en cause, l’accord du 6 juillet 2009 selon lequel un film sort d’abord en salles, puis en DVD (au bout de quatre mois) et enfin à la télévision (au bout de 10 mois pour Canal + et de 12 mois pour les autres).

Netflix a relancé le débat à Cannes, refusant que deux de ses films, à la sélection officielle [The Meyerowitz Stories de Noah Baumbach et Okja de Bong Joon-Ho], sortent en salles. Aujourd’hui, Canal + voudrait pouvoir diffuser les œuvres six mois après leur sortie au cinéma, contre dix aujourd’hui. La chronologie des médias résistera-t-elle longtemps à la pression de certains acteurs ?

Un désastre ?

Netflix, Facebook et Amazon se mettent à investir et Canal + se sent en danger. Techniquement, la chronologie des médias s’applique aux films qui sortent en salles et c’est là que Netflix, par un tour de passe-passe, a réussi à outrepasser la règle. En empêchant qu’Okja sorte en salle, la plateforme a pu le proposer dans son catalogue. Sans cela, elle aurait dû passer par le circuit traditionnel et attendre 36 mois pour diffuser son film. Mais remettre en question l’accord, ce n’est pas si simple, car toutes les parties ont leur rôle à jouer : les distributeurs n’ont aucun intérêt à voir un film diffusé sur la chaîne cryptée au bout de 6 mois, tirant profit de la vente de DVD et VOD, les producteurs, de leur côté, ont besoin des financements de Canal + et la chaîne cryptée se sent menacée par le téléchargement illégal. Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu aurait été téléchargée 4,2 millions de fois avant de passer sur la chaîne du groupe, souligne Maxime Saada, le directeur général du groupe Canal +, dans une interview au JDD ce week-end.

Si Canal + passait à 6 mois, les DVD et la VOD n’auraient plus que deux mois pour exploiter le film avant qu’il soit diffusé à la télévision. « Ce serait un désastre pour l’ensemble de la profession », insiste Jean Labadie, dirigeant de la société Le Pacte. L’adapter en fonction des circonstances, oui, mais pas question d’en faire pâtir les distributeurs. Et selon lui, la baisse des abonnés de Canal + est totalement liée au piratage mais aussi à son prix de vente devenu obsolète et à ses décisions depuis deux ans.

« C’est le système le plus vertueux au monde »

Les règles vont bouger (mais pas être révolutionnées). « La chronologie des médias est fondamentale, on a besoin d’une priorité pour la salle de cinéma, même si elle peut être renégociée, imaginer une VOD géolocalisée quand un film ne passe pas dans certaines villes de France », poursuit-il. Ou quand un film est très rapidement déprogrammé en salles, pourquoi pas. « C’est le système le plus vertueux au monde, le cinéma français a la chance de renouveler ses talents, mais on peut certainement l’adapter ». Et si, pour certains, la chronologie des médias alimente le téléchargement illégal, les pirates se replieraient sur des solutions illégales après avoir cherché des solutions légales, il n’est pas de cet avis. « Le piratage vient du fait qu’on est le seul pays à ne pas sanctionner un vol [Hadopi envoie deux avertissements avant de transmettre le dossier au tribunal] ».

Le CNC a fait quelques propositions en février dernier pour faire bouger les choses (à la marge). Il propose, entre autres, une nouvelle fenêtre fixée à trois mois pour les sorties en salles ou l’abandon de la dérogation à trois mois pour les films ayant réalisé de faibles entrées salles. On est encore loin de voir la chronologie des médias disparaître… Et le piratage aussi ?