Polémique Netflix: Sera-t-il possible de voir le film «Okja» sur grand écran?

FESTIVAL Produit par et pour Netflix, le film de Bong Joon-ho tente malgré tout de se faire une place sur grand écran, notamment au Summercamp Festival du magazine « So Film », mais c’est loin d’être évident…

Stéphane Leblanc
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«Okja» de Bong Jon-ho
«Okja» de Bong Jon-ho — Netflix

Si Okja n’avait pas été l’un des meilleurs films de l’édition 2017 du festival de Cannes, on n’en serait sans doute pas là. Du côté du public à supplier que le film sorte en salles. Du côté des professionnels à rappeler vertement qu’un film ne peut pas sortir en salles et en streaming en même temps. Du moins en France. Et jusqu’à présent.

De son côté, Netflix se moque bien d’avoir transformé son blockbuster potentiel en produit domestique. C’est son choix. Et son droit. Mais beaucoup le regrettent, à commencer par ces professionnels qui l’ont apprécié à Cannes.

« Nous, on pense à Okja en termes de cinéma, pas de mode de production, affirme à 20 Minutes Stéphane Goudet, directeur du cinéma Le Méliès à Montreuil (Seine Saint-Denis). Dès sa projection à Cannes, on a su qu’on saisirait la moindre occasion pour le montrer dans notre salle, tout simplement parce que c’est un film incroyable. »

Six projections au départ, quatre à l’arrivée

L’occasion, c’est le So Film Summercamp Festival qui la lui a donnée, ainsi qu’à une poignée d’autres salles à Paris et à Bordeaux. A la tête de ce festival nantais, Thierry Lounas, bien connu du milieu du cinéma pour diriger la société Capricci, qui produit et distribue des films, édite des livres et des DVD, mais publie également le magazine So Film, organisateur de l’événement.

« Nous avons eu l’idée de programmer Okja bien avant la polémique de Cannes et ce n’est pas une prise de position en faveur de Netflix, précise Thierry Lounas à 20 Minutes. C’est un film familial qu’on adore et qu’on est très heureux de pouvoir montrer. Nous avons d’ailleurs eu du mal à convaincre Netflix qui n’en voyait pas trop l’intérêt. » La projection d’Okja au cours d’une poignée de séances gratuites, une broutille que le géant américain a finalement concédée au Summercamp Festival.

Six projections devaient être organisées dès mercredi 28 juin, deux à Nantes (dont une en plein air), deux à Paris, une à Montreuil et une à Bordeaux. « Je pense que ça va être une émeute », sourit Thierry Lounas, bien content du bon coup qu’il s’apprête à jouer. Ou du moins, qu’il espère pouvoir jouer. Car, depuis vendredi, deux des six projections sont annulées. Le Forum des images et le Max Linder, les deux salles parisiennes engagées sur le festival, ont en effet annoncé qu’elles renonçaient à leur projection.


S’en est suivie toute une vague de déception et d’indignation, relayée ce week-end sur Twitter.



En cause, les rappels à l’ordre de la Fédération nationale des cinémas français (FNFC). Cet organisme, qui représente les salles de cinéma, était déjà monté au créneau à Cannes en refusant de distribuer son quota de tickets pour le film.

« Le problème n’est pas notre position, mais celle de Netflix, souligne à 20 Minutes le délégué de la FNCF, Marc Olivier Sebbag. Contrairement à d’autres sociétés qui s’intéressent depuis peu au cinéma, comme Amazon ou SFR, on est face à un opérateur dont le président a encore confirmé la semaine dernière son hostilité à la chronologie des médias, sa remise en cause du bien-fondé des systèmes de contribution à la production, sur lesquels repose notre économie et qui permet une vraie diversité, qu’il entend fracturer comme on le ferait d’un coffre-fort… Libre à chacun de programmer les films qu’il veut dans le respect de la réglementation, mais si on choisit ceux d’un opérateur aussi peu vertueux, il faut les assumer sans fausse naïveté. »

Visa provisoire

« Je comprends les arguments de la FNCF, reprend Stéphane Goudet, mais notre parti pris, c’est de dire qu’un film de qualité vaut le coup d’être montré. » Plus généralement, le directeur du Méliès note que des visas provisoires ont toujours existé pour des projections exceptionnelles.


« Des films produits pour la télévision, on en a déjà projeté, rappelle le directeur du Méliès en citant Marius et Jeannette de Robert Guédiguian ou Carlos d’Olivier Assayas. On a toujours trouvé des solutions pour qu’ils puissent être montrés en salle. Boycotter une production Netflix sous le prétexte que c’est Netflix n’a pas de sens. C’est à nous, professionnels, de convaincre cette société de revoir sa position et projeter le film lors d'une séance unique et gratuite peut permettre d’engager une réflexion. »

L’avenir du cinéma en salles

Un compromis devra en effet être trouvé et le débat paraît inéluctable. Claude Lelouch l’a rappelé ce dimanche dans le JDD : « On ne peut pas dire non à la nouveauté. Netflix est un peu ce que fait Emmanuel Macron en politique : il a balayé les préjugés pour aller chercher les bonnes idées là où elles sont, à droite comme à gauche. Alors, si la plus belle histoire du monde est mise en scène par un gars produit par Netflix ou Amazon, il faut la voir. »


« Okja » ailleurs dans le monde

Le film ne sera projeté sur grand écran que dans trois pays (la Corée du Sud, les Etats-Unis et le Royaume Uni). Et encore, à chaque fois dans un faible nombre de salles.

En Corée du Sud, les trois principales chaînes de cinéma du pays (CJ CGV, Lotte Cinema et Megabox) boycottent la sortie d’Okja, Netflix ayant refusé de repousser la date de mise en ligne du film de trois semaines, comme c’est l’usage dans ce pays pour un film issu d’une plateforme de streaming. Mais contrairement à la France, ces trois groupes n’ont pas fait pression sur les 7 % de salles indépendantes (une trentaine tout au plus) qui peuvent programmer le film si bon leur semble.

Aux Etats-Unis, le film sortira le 28 juin dans les quinze salles appartenant à iPic Entertainment, une chaîne de salles de luxe, afin qu’Okja puisse concourir aux Oscars (pour ce faire, un film doit avoir été exploité durant au moins sept jours consécutifs, avec plusieurs projections par jour). Les autres chaînes ont pour leur part refusé de diffuser les films Netflix, craignant une baisse de revenus face à leur sortie simultanée en ligne.

Au Royaume-Uni, enfin, le film est sorti dans les dix salles appartenant au groupe Curzon, le 23 juin, soit cinq jours avant sa mise en ligne sur Netflix. Un accord exceptionnel a en effet été conclu entre l’entreprise américaine et Curzon, leader des exploitants indépendants britanniques.