A Deauville, l'enfer de la jeunesse coréenne est inspiré de la réalité
FESTIVAL Humiliations, viols, suicides et meurtres… Les trois films coréens du festival de Deauville ont tenu leurs promesses: évoquer une jeunesse tourmenée à travers des thrillers sombres et sanglants... Efficace!
Etre jeune en Corée? Un enfer, à en croire les réalisateurs des trois films présentés cette semaine au festival de Deauville. En compétition, le lycéen de Steel Cold Winter accule un camarade au suicide en propageant une rumeur infondée. Il déménage et se lie d’amitié avec une jeune fille qui souffre, elle aussi, d’a priori peu flatteurs.
A cappella (Han Gong-ju) met en scène une lycéenne impliquée cette fois dans une sombre histoire de viol collectif. Elle aussi, doit déménager pour fuir la pression des parents de ses agresseurs. Un film qui a fait son effet sur les planches, vendredi soir, trois mois après avoir déjà impressionné le jury de Martin Scorsese qui lui avait décerné l’Etoile d’or au festival de Marrakech. Lee Sujin, jeune réalisateur trentenaire qui signe ici son premier film, reconnait que l’histoire d’A cappella est «inspirée d'un fait divers lu dans les journaux» et qui l'a hanté «pendant des années».
Le thriller pour faire passer le message
Hors compétition, et déjà primé à Berlin l’an dernier, Suneung, évoque enfin le contexte de compétition extrême entre lycéens lors de l’examen final (le suneung du titre) qui conditionne leur entrée dans les meilleures universités. Visiblement, certains sont prêts à tout, de l’humiliation au meurtre. «J’ai un peu accentué le trait, reconnaît la réalisatrice Shin Su-won, mais le recours au thriller est un bon moyen pour faire passer le message».
«Si ces films n’étaient que des chroniques sociales, ils perdraient de leur puissance», ajoute Bich-quân Tran, qui va distribuer Suneung et A cappella en France. «Les jeunes, auxquels ils s’adressent, n’iraient sans doute pas les voir autrement», ajoute Shin Su-won.
Pour autant, cette ancienne enseignante n’est pas loin de la réalité. «Je me souviens d’avoir surpris de bons élèves qui s’échangeaient des formules chimiques pour fabriquer des bombes ou qui parlaient de faire sauter le lycée. Depuis, la situation ne cesse d’empirer en Corée, où seule une poignée d'universités est capable d’assurer un avenir aux jeunes.» Même son de cloche du côté de Lee Sujin, pour qui «l'injustice est un phénomène profondément ancré dans ce pays».
Taux de suicide le plus élevé au monde
Aujourd’hui, la Corée du Sud a le taux de suicide le plus important chez les jeunes au monde, devant le Japon. «La pression scolaire n’est pas étrangère à ce phénomène», souligne Shin Su-won. «Celle des parents non plus», ajoute Lee Sujin. «Ces cinéastes livrent une vision de la société coréenne avec des notions très ancrées de honte et de réputation qui n’a rien d’exagéré», raconte encore Bich-Quân Tran.
Dernièrement, le suicide d’une candidate sur le tournage d'une émission de téléréalité en Corée a défrayé la chronique, jusqu’en France. «C’est une histoire terrible, souligne Shin Su-won, qui nous choque mais qui peut aussi nous inspirer, car elle n’est pas étrangère à la pression qu’on met aux jeunes aujourd’hui.»