Dans le milieu concurrentiel de l’humour, la course aux likes et aux abonnés pour remplir les salles

Humour Les jeunes humoristes, amateurs ou qui souhaitent faire carrière, ont bien compris le pouvoir des réseaux sociaux, dont TikTok. Mais faut-il multiplier les abonnés pour s’assurer une carrière ?

Pauline Ferrari
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Le stand-up, sur scène et sur les réseaux (illustration).
Le stand-up, sur scène et sur les réseaux (illustration). — SYSPEO/SIPA
  • Pour attirer le public dans les salles, les humoristes n’hésitent pas à utiliser les réseaux sociaux, à travers de courtes vidéos et parodies
  • Un véritable travail à plein temps, au sein d’un milieu ultraconcurrentiel et précaire
  • Pression de l’algorithme, peur du cyberharcèlement, et nécessité de poster à tout prix : le rapport des humoristes aux réseaux s’avère complexe

Une scène, un micro : la base du stand-up, c’est de réussir à faire rire un public parfois récalcitrant, dans une grande salle ou au fin fond d’une cave du 11e arrondissement. Si par le passé, les humoristes comptaient sur les flyers distribués à la sortie des théâtres et au bouche à oreille pour faire leur promotion, désormais ils passent par les réseaux sociaux. Si vous avez déjà assisté à un plateau de stand-up, vous savez à quel point le milieu de l’humour est hautement concurrentiel, entre blagues qui bident et rémunération au chapeau. Le numérique est alors décisif pour nombre d’humoristes.


« Je trouve que c’est quasiment obligatoire. Je ne vois pas comment on peut se faire connaître autrement : c’est une vitrine et cela apporte une légitimité » explique Nina Azoulai, gagnante de la compétition TikTok Comedy Club, organisée par la plateforme de courtes vidéos. Comme elle, de nombreux talents de la nouvelle scène française se sont révélés via les réseaux sociaux : Inès Reg, Lison Daniel, Laura Felpin… De courtes vidéos sur Instagram ou TikTok jusqu’aux planches, il n’y a qu’un pas.

Le tournant du confinement

Le confinement de 2020 a bousculé la pratique de l’humour : enfermés chez eux, les humoristes, professionnels ou aspirants, ont usé de leur smartphone pour commencer ou continuer à faire des blagues. C’est le cas de Tahnee, qui a commencé à utiliser les réseaux sociaux en 2019, à partir de sa programmation régulière à la Comédie des 3 Bornes, une salle parisienne. « Pour remplir la salle, j’ai commencé à faire des petites vidéos, je m’amusais à faire des parodies de film où je faisais moi-même le doublage ». Mais l’humoriste explique qu’elle s’y est « vraiment mise » pendant le confinement. « J’avais besoin d’entretenir un rapport avec le public et de faire des blagues. Ca m’a réconcilée avec la pratique des réseaux sociaux » ajoute-t-elle.

Pour Nina Azoulai, le confinement a été l’occasion de se lancer. « J’ai fait 2 scènes, et puis on a été confinés ! J’avais déjà envie de me lancer sur les réseaux, sur le modèle de Camille Lellouche, et le confinement m’a poussée. En mai 2020, je me suis mise sur TikTok, pour tenter de prendre la vague » détaille l’humoriste. À partir de la rentrée 2021, elle jongle entre les vidéos sur Instagram et TikTok et la scène. « J’ai pas lâché le rythme, ça aurait pu percer davantage, mais je suis quand même contente. Depuis 2/3 mois, j’ai intensifié mon contenu pour rentrer dans l’algorithme » ajoute Nina Azoulai, qui publie désormais 4 à 5 vidéos par semaine. Un véritable second emploi en plus du stand-up.

Les humoristes face aux algorithmes

Pourtant, il ne suffit pas de se mettre sur Instagram pour gagner des centaines d’abonnés en un claquement de doigts. Pour les humoristes, gagner en notoriété sur les réseaux est un travail à part entière. « J’y mets des extraits de scène mais pas trop car il faut pas spoiler, un peu plus d’impro car ce sont des moments inédits… Si j’ai une idée sur l’actualité, je le fais en vidéo, et si ça prend un peu, je renforce le truc sur scène » décrit Nina Azoulai. Pour Tahnee, « c’est maintenir une activité et un lien avec les abonnés, dans l’objectif de les faire venir au spectacle. Mais je ne suis pas sûre de le faire autant le jour où je n’aurai plus de spectacle, car ça prend du temps et c’est un contenu gratuit ». Car écrire, tourner et monter des vidéos demande quasiment autant de temps que d’écrire de bonnes blagues.



D’autant que face aux algorithmes d’Instagram et TikTok, les humoristes ont peu de marge de manoeuvre. « J’ai l’impression que ce qui marche est différent en fonction des plateformes. Mais il faut être très régulière » assure Tahnee. Et d’une vidéo à l’autre, le bide peut se ressentir sur le nombre de likes. « On est un peu dégoûté quand ça ne prend pas. On peut comprendre les vidéos qui réussissent, comme un sujet un peu original, sur d’autres vidéos c’est un peu la déception, mais il faut continuer à poster quoiqu’il arrive » réagit quant à elle Nina Azoulai. Face aux algorithmes, certains algorithmes peuvent ressentir une sorte de syndrome de Stockholm : poster à tout prix, pour espérer remplir les salles.

Peut-on réussir sans poster ?

D’autant qu’une présence accrue sur les réseaux sociaux expose les humoristes aux bad buzz ou au cyberharcèlement. « Comme j’aborde des sujets dans mon spectacle qui tournent autour de mon métissage, je dénonce des expériences racistes, je parle de mon coming out… Mon spectacle est ouvertement lesbien, donc j’avais un peu peur du cyberharcèlement et des trolls en allant sur certaines plateformes. Quand t’es en face de l’humoriste, ce n’est pas le même rapport » estime Tahnee. Une peur du cyberharcèlement qui peut être accrue pour les femmes, les personnes racisées et LGBTQ +, le milieu de l’humour n’en est pas exempt. De plus, passer du temps à créer du contenu en ligne n’équivaut pas toujours à plus de monde dans le public.

Poster ou ne pas poster, telle est la question… Qui semble pourtant vite répondue, selon les humoristes interrogées. Nina Azoulai considère que la présence sur les réseaux sociaux est « quasiment obligatoire ». « La plupart des humoristes disent que les gens se déplacent et remplissent les salles quand on promeut son spectacle via ses réseaux. Et une fois que t’as le spectacle, ça nourrit ton contenu » explique la jeune humoriste. Pour Tahnee, si être active en ligne est « devenu indispensable », cela ne suffit pas. « Il faut aussi avoir un spectacle solide, car on te programme sur la base de ton spectacle » ajoute-t-elle, qui joue son spectacle tous les mercredis à la Nouvelle Seine. Parce que les likes ne se traduisent pas toujours en rires dans le public.