Réforme des retraites : En ligne, les appels à la mobilisation passent par les mèmes
Grève générale Du côté de Twitter ou d’Instagram, les appels à la grève prennent une forme originale, celle des mèmes, en référence à la pop culture
- Détournements, parodies et humour au 1000e degré : en ligne ou dans la rue, le mème est politique
- En vue de la manifestation et de l’appel à la grève du 31 janvier, de nombreux internautes et organisations politiques avaient utilisé des mèmes pour rassembler. Rebelote pour la mobilisation de ce mardi
- Des appels à la culture populaire pour faire passer un message, mais aussi pour parfois tenter de convaincre les plus sceptiques
Alors que les journées de grève et de manifestation se suivent pour lutter contre le projet de réforme des retraites, sur les réseaux sociaux aussi, on tente aussi de mobiliser. Sur Twitter, Instagram ou Facebook, les internautes y vont de leur message plus ou moins second degré pour dénoncer la politique du gouvernement, appeler à rejoindre les grévistes ou se moquer, au hasard, du parcours de la manifestation parisienne.
Pour Albin Wagener, chercheur affilié à Rennes 2, spécialiste de l’analyse de discours et des mèmes, « cela prouve que le mème est un objet politique : quelles que soit les communautés, on les utilise pour parler de la société, cela permet de générer des débats, de commenter un aspect politique ». Si on retrouve beaucoup de mèmes en amont des rassemblements, on en retrouve aussi dans les manifestations, sur des pancartes ou des affiches. « C’est un objet sorti de la seule sphère numérique », selon le chercheur.
« J’adore les grévistes, c’est tellement romanesque »
Un changement de paradigme : à mesure que les structures politiques et syndicales se rajeunissent, les modes de communication politique changent. Place aux mèmes, aux réels sur Instagram ou aux vidéos Tik Tok. « Les mèmes remplissent le rôle des vignettes, d’affiches, de caricature de presse, ils sont tout terrain ! C’est un format répandu dans la pop culture et qui sert à tout, car c’est facile de compréhension et d’identification » analyse Albin Wagener.
Du côté du collectif les inverti.e.s, collectif LGBTI en lutte contre la réforme des retraites, les mèmes sont colorés, et reprennent les slogans criés en manifestation. « Au moment de la proposition de la réforme des retraites, on a fait une tribune publiée dans Têtu et Mediapart, pour expliquer à quel point on était concernés, et mettre en avant les questions singulières que les personnes LGBTI peuvent vivre » explique Tarik, membre des inverti.e.s et créateur de mèmes de leur page Instagram.
Pour les organisations politiques, il s'agit aussi de la jouer stratégique : « On continue à diffuser des tracts et s'adresser directement aux gens, mais comment on fait pour mobiliser avec de petits moyens, avec pas grand chose d'autre que les réseaux sociaux ? » questionne Tarik. Pour Albin Wagener, l'utilisation des mèmes dans cet espace de contestation est une suite « assez logique et politique ». Et qui permet de capter l'attention médiatique : le 19 janvier au soir, l'émission de Yann Barthès Quotidien reçevait Paloma, gagnante de Drag Race France... Et figure d'un des mèmes de manifestation.
« Détourner les codes, ça fait passer des messages »
Ce qui frappe dans tous ces mèmes à l'approche des mouvement sociaux contre la réforme des retraites, c'est leur humour et leur côté joyeux. « Le mouvement LGBTI a dans son essance même des questions de fête, de second degré. Mais cela ne signifie pas une dépolitisation : détourner les codes, ça fait passer des messages » souligne Tarik du collectif les inverti.e.s.
D'autant qu'en ligne, sur les questions féministes ou antiracistes, cela fait plusieurs années que les collectifs et militants utilisent des formes de communication politique innovantes. « Sur les questions LGBTI, on essaye de faire des liens entre le mouvement social général et les questions spécifiques de notre communauté, sans rentrer dans une compétition » ajoute Tarik.
Pour le chercheur Albin Wagener, les mèmes vont « cristalliser la contestation, l’adhésion ou une radicalisation. C'est une manière de faire contre-pouvoir ! ». « Encore une fois, les mèmes sont en réaction à l’actualité, la culture pop se réapproprie ça pour se faire entendre, et pour qu’il soit partagé », ajoute-t-il. Tarik plaide lui aussi la réappropriation, à travers des messages humoristiques, des codes de la pop culture « qui sont perçus hyper marchands et capitalistes ». « Et pour montrer que l'humour n'est pas forcément oppressif » indique-t-il.
Rassembler ou convaincre ?
Avec les mèmes, il s'agit aussi de rassembler et convaincre les plus sceptiques, les inviter à manifester ou à se mettre en grève. « De la même manière que Nuit Debout ou les Gilets Jaunes ont émergé hors des syndicats, toute la société doit faire grève. Les grands mouvements sociaux permettent de changer la vapeur » indique Tarik.
D'autant que les « mèmes ont une force d'argumentation : ils transmettent pleins de choses implicites mais importantes. C'est une compression d'arguments qui a la force d'une punchline argumentative » explique Albin Wagener. De la même manière que la publicité fait passer un argumentaire de vente, les mèmes politiques peuvent permettre de convaincre ou de sensibiliser.
« Mais surtout, n'importe qui peut s'en emparer, car c'est un objet de divertissement » ajoute le chercheur. C'est précisément l'objectif de Tarik et des inverti.e.s : créer du dialogue : « Cela permet de faire discuter, notre communauté, notre classe. Ce n'est pas hors-sujet ». En cette manifestation du 7 février, on devrait donc voir des mèmes sur les pancartes et les banderoles, des signes de main de Jul à Britney Spears invitant à « Strike bitch ».