« Twitter files » : Suspension de Trump, Hunter Biden, « shadow banning »… Que révèlent les documents internes du réseau ?
It’s complicated Les révélations promises par Elon Musk sur la modération de Twitter tournent davantage à la propagande qu’à un audit de bonne foi
« Les Twitter files sur la suppression de la liberté d’expression seront bientôt publiés sur Twitter. Le public mérite de savoir ce qu’il s’est vraiment passé. » Fin novembre, Elon Musk annonçait avec fracas la publication à venir de documents internes de l’entreprise qui devaient notamment prouver que le réseau avait bien été dirigé par des gauchistes woke ayant censuré les voix conservatrices, protégé Hunter et Joe Biden et suspendu à tort Donald Trump après l’assaut du Capitole. Mais au lieu d’un audit interne réalisé en toute transparence, les « Twitter files » ont accouché de cinq threads publiés des journalistes choisis par Musk. Qui semblent davantage vouloir valider des griefs souvent exagérés et dépourvus de contexte qu’établir un état des lieux nuancé de la modération de la plateforme.
Qui sont les journalistes qui publient les « Twitter files » ?
Matt Taibbi et Bari Weiss sont deux journalistes désormais indépendants, qui ont travaillé pour plusieurs grands médias américains. Taibbi a réalisé des enquêtes sur Wall Street pour le magazine Rolling Stone, et Weiss est passée par le New York Times comme éditorialiste. Les deux se décrivent comme des centristes désabusés par des « mainstream medias » qui penchent, selon eux, trop à gauche. Dans leur newsletter sur Substack, ils jouent régulièrement les contrariants, notamment sur le Covid pour Taibbi et sur les questions liés au genre pour Weiss.
Ont-ils eu accès aux messages privés d’utilisateurs ?
La question a émergé après la publication d’une capture d’écran par Bari Weiss du compte LibsofTikTok sur laquelle le dossier « Direct messages » était visible. L’ancien patron de la sécurité de Facebook, Alex Stamos, et le professeur de droit constitutionnel Orin Kerr ont noté qu’Elon Musk s’exposait à des poursuites s’il avait donné accès aux messages privés de certains utilisateurs à des journalistes. Mais dans la foulée, une cadre de Twitter, Ella Irwin, a assuré que c’était elle qui avait réalisé cette capture d’écran, clarifiant que les journalistes « n’avaient pas eu accès » aux outils internes de l’entreprise ni aux messages des utilisateurs.
Que révèlent les Twitter files sur Hunter Biden ?
Pas grand-chose de neuf. Trois semaines avant la présidentielle de 2020, le New York Post avait publié des emails et des photos du fils de Joe Biden, affirmant qu’ils provenaient de l’ordinateur portable personnel d’Hunter Biden oublié chez un réparateur 18 mois plus tôt. Face aux doutes sur l’origine de cette surprise d’octobre, Twitter, qui avait été averti par le FBI qu’une campagne de désinformation « hack & leak » (piratage et fuite) risquait de perturber l’élection, décide dans un premier temps de bloquer tout partage du lien de l’article.
Dans un témoignage sous serment il y a deux ans, l’ancien responsable de la sûreté de Twitter Yoel Roth avait indiqué avec le recul que cette décision était une « erreur ». Dans son premier thread, Matt Taibbi révèle que la décision n’avait pas fait l’unanimité en interne, et surtout qu’elle avait été prise à l’insu du patron Jack Dorsey. On apprend également que l’équipe de Biden avait signalé cinq tweets qui ont été supprimés par les modérateurs de Twitter. Le journaliste omet de préciser qu’il s’agissait de contenus pornographiques, notamment de photos du pénis de Hunter Biden. Taibbi reconnaît également que l’équipe de Donald Trump bénéficiait aussi du même accès chez Twitter pour les questions urgentes de modération. Et détail important : si la saga Hunter Biden montre bien qu’il a tenté de monnayer son nom de famille à l’international, notamment en siégeant au Conseil d’administration du groupe énergétique ukrainien Burisma, aucun élément ne suggère une conduite inappropriée de Joe Biden.
Twitter a-t-il censuré des conservateurs et pratiqué le « shadow banning » ?
Bari Weiss s’est ensuite penchée sur la modération de Twitter. Qui est accusé d’avoir mis un médecin qui avait milité contre le confinement et pour l’immunité naturelle de masse, Jay Bhattacharya, sur une « Trends blacklist », qui empêchait ses tweets de se retrouver dans les tendances du jour. Et deux personnalités conservatrices, Dan Bongino et Charlie Kirk, sur une « liste noire de recherche » et une liste « ne pas amplifier ».
Les trois exemples donnés avaient-ils commis des violations à répétition ? Combien d’utilisateurs ont subi ce genre de traitement ? Les conservateurs ont-ils été davantage touchés que les libéraux ? Weiss ne fournit aucun contexte et ne semble pas intéressée par la réponse.
Les conservateurs y voient la preuve que Twitter est coupable de « shadow banning ». Mais la définition de cette pratique qui consiste à réduire en douce la visibilité de certains comptes sans les suspendre complètement reste vague. En 2018, Twitter avait démenti avec force faire du « shadow banning », assurant que tous les tweets restent visibles en allant directement sur un profil. Le réseau n’a jamais caché, en revanche, qu’il pondère les tweets dans ses algorithmes de ranking. Ce que toutes les plateformes font. Elon Musk a d’ailleurs lui-même déclaré qu’il ferait pareil avec sa philosophie « freedom of speech, but not freedom of reach » : « Les tweets négatifs ou haineux seront déboostés et démonétisés. Vous ne trouverez pas ces tweets à moins de les chercher explicitement. »
Twitter est-il allé à l’encontre de ses règles en suspendant Donald Trump ?
Les trois derniers épisodes des « Twitter files » se penchent sur la suspension de Donald Trump de la plateforme après l’assaut du Capitole. Twitter avait d’abord suspendu le compte du président américain pour 12 heures après la publication de la vidéo dans laquelle il répétait « On nous a volé l’élection ». Deux jours plus tard, Donald Trump écrit qu’il n’ira pas à l’investiture de Biden et que « personne ne manquera de respect aux 75 millions de patriotes américains qui ont voté pour moi ». Twitter invoque alors sa règle contre la « glorification de la violence » et les risques de débordements futurs pour justifier une suspension permanente.
Cette décision a fait débat dans le monde entier, y compris en interne. Selon les documents consultés par Bari Weiss, plusieurs cadres de Twitter ont estimé que les messages du président américain n’atteignaient pas la barre « d’incitation à la violence ». Mais si la décision du réseau peut être critiquée, l’entreprise était dans son bon droit. Le premier amendement protège la liberté d’expression contre toute limitation du gouvernement. Les entreprises privées peuvent modérer leur plateforme comme bon leur semble.