Manifestations en Iran : Les VPN, outils indispensables pour la mobilisation des Iraniens en faveur de la liberté

TECHNOLOGIES Des manifestations font rage dans la rue en Iran depuis un mois et demi, l’occasion pour le gouvernement de resserrer toujours plus son emprise sur l’accès à Internet. Mais des bulles d’espoir demeurent

Laure Gamaury
Un jeune Iranien constate que le site presstv.com, chaîne iranienne en anglais, a été bloqué par le gouvernement iranien, le 23 juin 2021.
Un jeune Iranien constate que le site presstv.com, chaîne iranienne en anglais, a été bloqué par le gouvernement iranien, le 23 juin 2021. — AFP
  • Alors que l’Iran est en proie à de violentes manifestations dans tout le pays, les autorités tentent de contrôler toujours plus l’accès au réseau Internet mondial pour ses citoyens. « Le niveau de censure y est tellement important que le sobriquet "Filternet" est parfois utilisé pour parler de la liberté d’accéder à Internet en Iran », précise Rayna Stamboliyska, spécialiste cybersécurité et diplomatie numérique.
  • Mais les Iraniens, qui subissent la censure depuis une dizaine d’années déjà, ont des solutions pour la contourner et témoigner de la situation dans leur pays, notamment grâce aux VPN.
  • « A la base déjà, installer un VPN, c’est faire de la désobéissance civile », assure Sara Saidi, journaliste spécialiste de l’Iran.

Un ministre annonce que le gouvernement va interdire les VPN et les toutes dernières onces de liberté d’Internet sont-elles sur le point de disparaître en Iran ? Alors que le pays connaît un soulèvement inédit depuis la mort, le 16 septembre, de Mahsa Amini, à l’issue de sa détention pour un voile « mal ajusté », l’accès à Internet est devenu très compliqué, voire impossible. Les VPN, ces réseaux privés virtuels où deux ordinateurs peuvent communiquer entre eux, hors du reste d’Internet, sont le meilleur moyen de contrer la censure imposée.

« A la base, installer un VPN, c’est faire de la désobéissance civile », assure Sara Saidi, journaliste spécialiste de l’Iran. Cet outil comparable à un « tunnel sur une route de montagne » où les informations échangées sont chiffrées, est incontournable dans le pays pour se connecter au réseau mondial.



Selon Top10VPN, un comparateur indépendant de VPN, qui recense et teste ces outils numériques, « la demande de VPN en Iran a atteint le 26 septembre, un pic de 3.082 % au-dessus de la moyenne alors que les gens luttaient pour contourner les restrictions Internet. Depuis lors, il est resté supérieur de 2.012 % au niveau de référence d’avant la manifestation », indique les statistiques du site.

Pourtant, Kavé Salamatian, professeur d’informatique à l’université de Savoie et spécialiste des infrastructures numériques en Iran, affirme que le phénomène n’est pas nouveau. « La situation est le résultat d’une dizaine d’années de travail effectué par le régime iranien pour réarchitecturer le réseau, de façon à le surveiller ». C’est ce qu’il appelle « faire rentrer le djinn dans la bouteille ». C’est-à-dire exercer un contrôle sur un monde qui jusqu’alors jouissait d’une grande liberté.

Un filtrage similaire à 2019

En 2009, au moment de la révolution verte, « consécutive à la réélection de Mahmoud Ahmadinejad », précise Sara Saidi, les autorités ont commencé leur travail. Reporters sans Frontières faisait alors de l’Iran l’un des « douze ennemis d’Internet ». En dix ans, le gouvernement a étendu la censure, en parvenant à s’insérer à différents niveaux de la vie numérique des Iraniens. « Le niveau de censure y est tellement important que le sobriquet "Filternet" est parfois utilisé pour parler de la liberté d’accéder à Internet en Iran », précise Rayna Stamboliyska, spécialiste cybersécurité et diplomatie numérique.

« Trois jours après le début des manifestations actuelles, le gouvernement a coupé l’accès à Internet et provisoirement bloqué Instagram et WhatsApp dans certaines régions du pays ; l’objectif étant d’étouffer la dissémination de photos, vidéos et discussions liées aux soulèvements, à ce moment-là régionalisés », ajoute-t-elle. Pour Sara Saidi, qui a vécu en Iran entre 2016 et 2019, « le gouvernement a atteint son but en 2019, lors des manifestations contre la vie chère et durant lesquelles Internet a été coupé durant plus d’une semaine ». A l’époque, quelque 1.500 manifestants ont perdu la vie.

« Le gouvernement iranien a désormais la capacité de décider quel bloc de maison a un accès au réseau, dans quelle ville il peut couper l’accès à Internet. Le niveau de mainmise et d’ajustement est de plus en plus fin, indique Kavé Salamatian. C’est une censure choisie et ciblée qui permet aux autorités un contrôle des plus précis. »

« En Iran, l’infrastructure est directement dépendante et soumise à la gouvernance », abonde l’experte en cybersécurité. Ainsi, une entreprise publique qui appartient aux Gardiens de la révolution, a les pleins pouvoirs pour accorder des licences aux fournisseurs d’accès à Internet et gérer les infrastructures numériques. « Il existe un "robinet" central, expose-t-elle. Un FAI [fournisseur d’accès à Internet] n’a pas le choix que de proposer un outillage technique pour surveiller, filtrer et bloquer les services numériques de ses clients, s’il veut obtenir une licence. »

Contrôle total, réseau fermé et intérêts économiques

En réaction à cette censure, les Iraniens ont donc normalisé l’utilisation de VPN. « J’ai d’abord téléchargé des VPN gratuits, disponibles en ligne, témoigne Sara Saidi. Mais ils avaient une date de péremption assez proche. Puis je suis passée à des versions payantes pour parvenir à me connecter sur Twitter ou Facebook. En 2019, Instagram et WhatsApp n’étaient pas encore censurés, Telegram seulement en partie. »

Pour Kavé Salamatian, les applications et réseaux sociaux n’ont pas tous le même mode de fonctionnement, ce qui permet à certaines d’être plus difficilement blocables : « Par exemple WhatsApp utilise une série de serveurs bien déterminés alors que FaceTime a une palette de serveurs partout dans le monde, bien plus complexe à contrôler. De même, Signal et son architecture très flexible, avec des demandes de crowdsourcing à la communauté, permettent de mettre en place des moyens de communication via les proxys, qui échappent plus facilement à la mainmise du gouvernement. »

Mais si les autorités iraniennes décident à un moment de couper totalement les connexions Internet, d’arrêter les infrastructures ? « Inconcevable », répondent les experts, car Internet est indispensable à la vie économique du pays. « Le gouvernement iranien possède la capacité de déconnecter les routeurs mais c’est un risque pour l’économie et pour les services gouvernementaux qu’il n’est pas prêt à prendre », assure Kavé Salamatian. « De nombreuses start-up ont émergé en Iran, explique Sara Saidi. Internet est vital pour leur survie, c’est la raison pour laquelle actuellement, en pleine mobilisation partout dans le pays, le gouvernement laisse passer un débit, faible certes, mais existant. »

Des raisons d’espérer

Le gouvernement iranien semble donc avoir atteint une sorte d’apogée de la censure d’Internet, même s’il souhaite imposer un contrôle encore plus efficace en s’attaquant aux outils de contournement. « Actuellement, Tor (un navigateur réseau qui permet d’éviter censure et blocages) et les VPN sont dans le même bateau », commente Kavé Salamatian.

« Le projet de loi du cyberespace iranien, censé le protéger de l’ingérence et de l’influence étrangère, qui comporte notamment l’interdiction stricte des VPN, outils non grata, est en cours d’application », note Rayna Stamboliyska, qui précise que les autorités ont réussi, pendant les périodes de protestations intenses, à réduire à néant les fonctionnalités des VPN. « Mais la tech ne fait pas la démocratie », commente-t-elle.

Un avis que partage Sara Saidi, qui assure que le peuple iranien a un coup d’avance sur le gouvernement. « Quand les manifestations ont commencé il y a quelques semaines, les Iraniens ont tous mis un message en ligne disant "Soyez notre voix, ils vont couper Internet". Ils ont prévu le coup, ils connaissent la censure, ils savent de quoi le régime est capable et donc ils anticipent. »

Et puis, comment imaginer qu’alors que tous les hauts dignitaires ont des comptes sur les réseaux sociaux, bâillonner Millénials et GenZ, qui sont nés et ont grandi avec Internet ? « Il y a des solutions technologiques qui existent, similaires à celles mises en place à Hong Kong, qui permettent de construire des réseaux spontanés qui n’ont pas besoin d’infrastructures », se réjouit Kavé Salamatian.

Et puis, conclut Rayna Stamboliyska, « les outils technologiques ne font pas tomber des gouvernements ; ce sont les gens qui manifestent qui y parviennent. » Après sept semaines de mobilisation, au moins 176 personnes sont mortes, selon l’ONG Iran Human Rights (IHR) basée en Norvège, et des milliers de personnes ont été arrêtées, dont des journalistes, des avocats, des militants et des célébrités. La colère gronde toujours dans le pays où désormais les protestations ne concernent plus seulement la liberté des femmes mais contestent le pouvoir en place de façon plus globale.