Bordeaux : Philippe Barre, fondateur de Darwin, préfère être « un bourgeois bohème qu’un bourgeois bourrin »

INTERVIEW « 20 Minutes » a rencontré le fondateur de l’écosystème bordelais Darwin, qui accueille du 15 au 17 septembre la neuvième édition du festival Climax

Mickaël Bosredon
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Philippe Barre est le créateur de l'écosystème Darwin à Bordeaux.
Philippe Barre est le créateur de l'écosystème Darwin à Bordeaux. — Mickaël Bosredon
  • La neuvième édition de Climax, qui accueille cette année des invités de renom comme Paul Watson, le fondateur de Sea Sheperd, tournera autour du thème « Resist. »
  • Philippe Barre, le fondateur de Darwin, assure « ne pas appeler au désordre » mais à la « résistance citoyenne » face à « l’accélération de la prédation du vivant et du dérèglement climatique. »
  • Presque quinze ans après la création de ce site sur la rive droite de Bordeaux, Philippe Barre revient aussi sur la genèse du projet, et l’évolution du modèle parfois décrié.

La nouvelle édition du festival Climax se tiendra sur le site de l’écosystème Darwin à Bordeaux, du 15 au 17 septembre. Au programme, des concerts, des performances, et des conférences, qui tourneront cette année autour du thème « Resist ». Pour cela, Darwin a invité quelques grands noms du militantisme écologique, comme Paul Watson, le fondateur de Sea Sheperd, des défenseurs de peuples menacés, comme Calixto Suarez, représentant du peuple Arhuaco de Colombie, ou encore Sophie Beau, fondatrice de SOS Méditerranée… À l’occasion de cet événement, 20 Minutes a interviewé Philippe Barre, le fondateur de Darwin, qui revient sur la genèse de l’écosystème bordelais qui fait tant couler d’encre, son évolution depuis sa création en 2009, et son modèle, tantôt salué, tantôt décrié.

Le mot d’ordre du festival Climax cette année, c’est « Resist. » Est-ce que cela marque un tournant pour cette nouvelle édition, afin de mieux coller à l’évolution de la société ?

C’est cela. En 2015, pour la première édition de Climax, c’était la COP21, et on avait encore de petits espoirs de changer les choses par les institutions. Nous en sommes aujourd’hui à la neuvième édition de Climax, et la France ne respecte même pas les engagements pris lors de cette COP21. Quand on voit l’accélération de la prédation du vivant et du dérèglement climatique, on ne peut avoir qu’un type de posture, c’est la résistance. C’est pourquoi nous avons voulu mettre en exergue l’ensemble de ces résistances qui se mettent en coalition.

Le site de Darwin à Bordeaux se prépare pour la neuvième édition de Climax.
Le site de Darwin à Bordeaux se prépare pour la neuvième édition de Climax. - Mickaël Bosredon

Vous proposerez une conférence sur le thème : « Désobéissance civile : vers une écologie radicale ? » Il y a des cas d’ONG prônant la désobéissance civile, quelle posture adoptez-vous par rapport à cela ?

Je n’appelle pas au désordre, mais la résistance citoyenne est importante. Quand on voit l’affaire des bassines, c’est-à-dire l’accaparement de l’eau par certains de manière complètement stupide, il est totalement légitime de mettre en place des groupes d’influence, de pression et d’action, pour faire changer d’orientation ces décisions délétères. Je trouve que c’est plutôt responsable de la part de certaines ONG, d’organiser des ateliers de désobéissance civile pour inciter leurs activistes à agir dans des conditions pacifiques. C’est de la transgression positive. En revanche, si dans ces ateliers, certains activistes prônent un extrémisme violent, je ne suis pas d’accord et je pense qu’on doit les interdire.

Presque quinze ans après la création de Darwin, êtes-vous fier de ce que c’est devenu ?

Bien sûr que j’en suis fier. L’idée de départ, en 2009, était de créer un lieu de transition écologique pour des entreprises et des associations qui voulaient participer au changement de paradigme sociétal. On avait 2.000 m2. Cela répondait à un besoin qui n’était tellement pas comblé que l’on a proposé plus, et aujourd’hui nous avons 50.000 m2 au sol. C’est d’ailleurs ce que l’on nous reproche parfois, d’avoir atteint une taille qui n’était pas prévue au départ, mais où est le problème ? En quoi a-t-on déréglé la ville ?

On reproche souvent au site d’être à destination d’une population bobo…

Oui on accueille des "bobos", je suis un "bobo". Mais je préfère être un "bourgeois bohème" qu’un "bourgeois bourrin". Et Darwin n’est pas fait que pour les "bobos". On accueille des réfugiés, des sans-abri, des enfants déscolarisés. Il y a Emmaüs, Médecins sans frontière… Et toute la jeunesse bordelaise vient ici, elle n’est pas entièrement "bobo".

Parmi vos commerces, vous avez de belles marques, Veja, Patagonia, mais qui sont tout de même d’un certain standing…

D’abord, Veja et Patagonia, ce n’est pas Adidas ni H&M. Patagonia, ça se répare par exemple, c’est important la réparabilité. Et à côté d’eux, il y a Emmaüs, pour les bourses plus modestes… L’un ne va pas sans l’autre.

Ce modèle économique est parfois pointé du doigt, mais vous le revendiquez ?

On marche sur deux jambes. Chaque marchandisation réalisée à Darwin, doit reverser au projet d’intérêt collectif. Pour une place de concert achetée, entre 5 et 10 % du prix d’achat sert à l’hébergement d’urgence ou à l’écologie urbaine. Oui, on fait du business, mais du business responsable. Je pense qu’en France, on a une partition des mondes qui est délétère : il faut que chacun rentre dans des cases, alors qu’on a besoin d’hybridation. Et Darwin c’est 1.200 emplois, nos résultats parlent d’eux-mêmes. Notre modèle est non seulement viable, mais vertueux écologiquement, économiquement, socialement et culturellement. Ça gêne le modèle destructeur de la spéculation immobilière, et ça gêne le discours extrémiste et violent de certaines personnes réactionnaires de la deep ecology [ou écologie radicale], qui prônent le grand soir et la lutte contre, plutôt que le faire ensemble. On n’est pas parfait, on n’est pas exemplaire, mais on essaye de faire "moins pire", et ensemble.

Il y avait aussi sur ce site l’enjeu d’un aménagement urbain différent, au milieu de la ZAC Bastide-Niel ?

Ici, c’est une ancienne caserne, dont le permis de démolir était signé en 2008 quand on a réussi à convaincre Juppé de nous laisser faire. Aujourd’hui, Darwin a une performance écologique, en eau, en énergie, en densification urbaine, bien supérieure aux bâtiments neufs que vous voyez derrière… On montre qu’il y a une façon de faire la ville plus résiliente, écologique. On veut nous faire croire qu’on ne construit pas assez de logements neufs, mais une récente étude montre que les bâtiments métropolitains et municipaux vides, disponibles, permettraient de loger plus de 15.000 personnes à Bordeaux. Il faut donc réhabiliter les bâtiments et faire muter les fonctions.

Comment évoluent vos relations avec la municipalité de Bordeaux, concernant la régularisation de votre occupation sur le site de la ZAC Bastide Niel ?

On leur demandera pendant Climax, mais tout n’est pas réglé… Je note par exemple que, lorsque vous êtes entré par le portail d’entrée, vous n’en aviez pas le droit administrativement parlant, car la rue principale qui traverse Darwin a été vendue au consortium Bastide/Niel, sans être déclassée du domaine public. Cela avait été fait dans le but de nous expulser, mais nous avons résisté...