Incendies en Gironde : Epargnée cette année par un goût de fumée dans ses vins, Bordeaux s’instruit auprès des vignobles californiens

ANTICIPATION Si le millésime 2022 ne sera pas concerné, la filière estime qu’il lui faut réfléchir en amont aux solutions pour prévenir et corriger l’amertume qui peut accompagner des vignes exposées aux fumées

Elsa Provenzano
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Séance de dégustation de vins (illustration).
Séance de dégustation de vins (illustration). — GEORGES GOBET / AFP
  • Le millésime 2022 de Bordeaux ne sera pas concerné par le « goût de fumée » redouté après les incendies, qui ont eu lieu suffisamment en amont des vendanges.
  • Néanmoins, la filière vin veut mieux connaître cette contamination potentielle pour y faire face en cas de nouveaux incendies dans les années à venir.
  • Dans l’ouest des Etats-Unis, ce « goût de fumée » est connu depuis 2017, et des techniques pour s’en prémunir ou le corriger ont déjà été expérimentées.

Une catastrophe aurait pu en cacher une autre. Aux pertes de plus de 28.000 ha de forêts provoquées par les gigantesques incendies en Gironde à l’été 2022, on aurait pu ajouter une contamination de la récolte des vignobles bordelais, si les feux avaient eu lieu un peu plus tard. Une conférence était organisée, ce mercredi, par l’union des œnologues de France autour de cette problématique du goût de fumée dans les vins, à l’ Institut des sciences de la vigne et du vin, près de Bordeaux.

Un millésime 2022 qui échappe de peu à la contamination

Les résultats sont rassurants et les vins de Bordeaux ne semblent pas promis, cette année, à un goût de cendres, une amertume typique des vignes exposées de façon prolongée à des fumées d’incendies d’ampleur. Dominique Guignard, président du syndicat des Graves (appellation proche des zones incendiées) va même plus loin, parlant d’un « millésime qui s’annonce exceptionnel. En 1949, on a eu 50.000 ha ravagés près de Cestas et c’est un des meilleurs millésimes qu’on ait fait à Bordeaux ! »

Selon Vincent Renouf, directeur du laboratoire Excell, « la chance qu’on a eue, c’est que les incendies sont arrivés très tôt ». Il s’explique : « Le mécanisme de la plante pour absorber ses molécules [dégagées par la combustion du bois] c’est de les glycoliser et il faut des sucres. Tant qu’il n’y a pas eu la véraison, l’accumulation de sucres qui permet de glycoliser, ça ne rentre pas. » C’est la grosse différence avec les épisodes qu’ont connu la Californie en 2020 et la Provence en 2021.

Si Bordeaux se sentait peu concernés par cette problématique du « goût de fumée » qui concerne déjà depuis plusieurs années de nombreux vignobles à travers le monde, « cette année doit être une alerte, cela peut s’amplifier à l’avenir et il peut y avoir un impact plus fort sur la production viticole bordelaise », estime Alain Blanchard, directeur de l’Institut des sciences de la vigne et du vin. L’Union des œnologues a annoncé qu’elle allait lancer un appel à projets pour que des équipes de recherches se mobilisent sur ce thème.

L’expérience des vignobles de Californie

Depuis 2017, l’ouest des Etats-Unis est confronté à des incendies intenses proches des vignobles et donc à cette problématique de « goût de fumée ». Nicolas Quillé, œnologue aux Etats-Unis depuis vingt-cinq ans, travaille pour une société qui a des caves dans trois Etats (la Californie, l’Oregon et Washington). Son employeur dispose de 400 ha de vignobles pour un volume de quatre millions de bouteilles produites.

« La première salve a eu lieu en 2017. Les feux ont eu lieu en fin de vendanges et on a eu beaucoup de choses à gérer, dont des évacuations, témoigne-t-il. Nous ne connaissions pas les goûts de fumée et nous les avons découverts au nez bien sûr mais aussi en bouche avec un goût amer, que je qualifierais de goût de cendrier, en fin de bouche. »

L’épisode le plus sévère a eu lieu en 2020 quand 200.000 ha sont partis en fumée sur les trois Etats. « Toutes les vendanges se sont passées sous les feux, raconte cet œnologue. On a mis un système d’évacuation en place, sur la base de ce qui existe pour les tremblements de terre. » En accord avec les autorités du comté, ils ont aussi mis en place des permis pour accéder aux zones évacuées afin de continuer à travailler.

Pour prendre des décisions de récolte, les vignobles ont mené des microfermentations. Il faut préciser qu’aux Etats-Unis, le système d’assurances ne peut pas être activé si les raisins ont été ramassés.  « Et, comme pour le niveau de pourriture ou le taux de sucre, nous avons maintenant des critères de qualité pour le goût de fumée », pointe cet œnologue. Des échanges de données ont eu lieu avec les autres vignobles pour permettre une meilleure estimation du niveau de contamination, en fonction des cépages.

Vendanges manuelles, aération…

Pour limiter les dégâts, Nicolas Quillé recommande de préférer les vendanges manuelles, même s’il n’est pas toujours possible de faire travailler des ramasseurs quand la qualité de l’air est très mauvaise. Le pressurage doit être mesuré et le travail des raisins doit se faire dans des caves ventilées à l’abri de toute fumée, car les raisins sont alors très sensibles. Pour masquer le goût de fumée, ces vignobles ont testé plusieurs procédés, dont le collage au charbon qui marche bien sur les blancs, mais plus difficilement sur les rouges. Il recommande aussi, à l’assemblage, un mélange avec les vendanges précédentes tout en prévoyant de beaux problèmes avec l’Inao (Institut national de l’origine et de la qualité). Une remarque qui a déclenché des rires dans l’assistance.

Dans une région habituée à des aléas climatiques de plus en plus soudains et virulents, Nicolas Quillé recommande aussi de s’organiser pour pouvoir ramasser rapidement la vendange. De quoi donner du grain à moudre aux professionnels de la filière mais aussi à tous les arboriculteurs.