Nouvelle-Aquitaine : 11.000 faits de violences conjugales constatés par les forces de l’ordre en 2019

ENQUETE Une association a été mandatée par la Région et la préfecture de Nouvelle-Aquitaine pour réaliser une étude sur les violences sexistes et sexuelles. Un observatoire régional va être créé pour que ce travail statistique se poursuive

Elsa Provenzano
Violences faites aux femmes et enfants. Illustration.
Violences faites aux femmes et enfants. Illustration. — Rafael Ben-Ari/Cham/NEWSCOM/SIPA
  • Les premiers résultats d’une étude sur les violences faites aux femmes en Nouvelle-Aquitaine, commandée par la Région et l’Etat, viennent d’être présentés.
  • Ils montrent par exemple que les dépôts de plainte pour violences conjugales sont plus importants si les victimes sont accompagnées par des associations.
  • Un observatoire des violences sexistes et sexuelles est créé dans le prolongement de cette étude pour faire de ce sujet une priorité régionale.

En 2019, 12 femmes sont mortes sous les coups de leurs conjoints en Nouvelle-Aquitaine. Sur l’année, 11.000 faits de violences conjugales ont été constatés par les forces de l’ordre et quelque 3.625 appels ont été passés au 39.19, le numéro d’urgence pour les victimes de violences conjugales. « Ce sont des chiffres beaucoup trop élevés », déplore Fabienne Buccio la préfète de Nouvelle-Aquitaine.

Pour tenter de mieux cerner ce phénomène, accentué en période de confinement, l’Etat et la Région ont commandé une étude sur les violences sexistes et sexuelles en Nouvelle-Aquitaine à l’association Recherche et étude sur la santé, la ville et les inégalités (ARESVI). Ses premiers résultats ont été présentés ce mercredi, à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.

Plus d’un millier de réponses

L’AREVSI s’est appuyé sur des données fournies par des associations qui accompagnent les femmes victimes de violences, les forces de l’ordre et la justice, d’entretiens auprès d’acteurs engagés sur cette thématique et d’un questionnaire ayant récolté 1.117 réponses, à ce stade.

Dans son enquête, l’association a choisi de faire un focus sur les violences conjugales. « Parmi les femmes victimes de ces violences une sur trois subit des violences sexuelles, une sur deux des violences physiques et plus de quatre sur cinq des violences psychologiques », rapporte l’AREVSI.

L’isolement nuit au dépôt de plainte

Même si de plus en plus de femmes dénoncent les violences, l’omerta est toujours de mise dans le huis clos familial. 25 % des femmes victimes de violences n’en ont jamais parlé et moins de 30 % des victimes déclarent les faits aux forces de sécurité. Celles qui sont accompagnées par une association sont plus nombreuses (65 %) à porter plainte.

« Moins elles sont isolées et plus elles vont avoir une chance de quitter leur conjoint violent, c’est en ce sens que la question de l’emploi est importante », commente Johanna Dagorn, dirigeante de l’association AREVSI. Il ressort en effet de l’étude que les femmes sans emploi ont davantage de difficultés à se sortir d’une situation de violence intrafamiliale.

Les femmes en situation de handicap et les cadres auraient aussi davantage de mal à faire confiance aux institutions pour les aider à s’en sortir. « Ces dernières préfèrent quitter le département voire la région », précise la présidente de l’association. Près de 40 % des victimes déclarent que leurs enfants ont subi ces violences. « Quand le conjoint s’en prend directement aux enfants, c’est là qu’elles partent », souligne Johanna Dagorn.

Seules 15 % des répondantes partent dès le premier fait de violence et parmi elles, une proportion importante de jeunes étudiantes, sans enfants.

1.500 procédures menées à Bordeaux

Sur la juridiction de Bordeaux en 2020 (selon des chiffres arrêtés en septembre), la procureure de la République de Bordeaux Frédérique Porterie explique que 1.500 procédures ont été menées après des dépôts de plainte. Parmi elles, 1.000 ont été traitées et ont fait l’objet de réponses pénales et le reste a été classé sans suite car les infractions n’ont pas pu être démontrées. La moitié des plaintes traitées ont été jusque devant les tribunaux, les autres ont fait l’objet de peines alternatives (compositions pénales, stages etc.)

« On ne peut condamner que si on a des preuves, rappelle la procureure. Et, il n’y a pas qu’un œil au beurre noir ou un bras cassé qui peuvent en constituer, il y a beaucoup d’autres façons d’en réunir. Mais, ce sont des enquêtes complexes dans le cas des violences conjugales, ce n’est pas aussi simple qu’un vol ».

La justice multiplie les dispositifs pour prendre à bras-le-corps ce problème : les ordonnances de protection émises par la justice à Bordeaux sont en augmentation : 65 à fin septembre 2020 contre 47 en 2019. Et, 24 téléphones d’urgence ont été mis à disposition des victimes, contre 16 l’année précédente.

La préfète souligne que les victimes qui se retrouvent à l’hôpital peuvent maintenant y porter plainte, elles n’ont plus à faire la démarche de se rendre au commissariat.

Evincer les auteurs du domicile

En lien avec des associations, des efforts sont faits pour évincer du domicile des conjoints violents et ainsi éviter à la victime de quitter son logement. « Actuellement, les six places disponibles sur Bordeaux sont occupées, précise Frédérique Porterie. Des bracelets anti-rapprochement, inspirés de l’expérience espagnole, viennent d’arriver au Parquet. » Ils permettent à la victime d’être avertie si l’auteur contrevient au périmètre assigné, et les forces de l’ordre sont immédiatement alertées.

Un centre pour l’accueil des auteurs de violences conjugales a ouvert ce 19 novembre à Limoges, un autre devrait ouvrir à Bordeaux. Et la préfète souhaite qu’une troisième voie le jour pour couvrir le territoire étendu de la Nouvelle-Aquitaine.

Un observatoire régional sur les violences sexistes et sexuelles va permettre à l’enquête de s’étayer et d’actualiser ses données d’année en année. Il est aussi le signe d’une attention particulière des pouvoirs publics pour ce sujet déclaré grande cause du quinquennat.

Financements

En 2020, près de 1,2 million d'euros a été consacré directement par l'Etat à la lutte contre les violences faites aux femmes en Nouvelle-Aquitaine, soit une hausse de près de 40% par rapport à 2019. La Région consacre, elle, chaque année 700.000 euros pour lutter contre les violences faites aux femmes au travers de différents dispositifs.