Affaire Balkany : « Ils ont défrayé la chronique à deux », souligne le réalisateur d’un documentaire

INTERVIEW Dans « C’était écrit, la chute de la maison Balkany », le journaliste Félix Seger retrace l’histoire de ce couple emblématique de la scène politique française depuis quarante ans, condamné récemment pour fraude fiscale et encore mis en examen dans diverses affaires

Marion Douzet
France 5 diffuse le 29 juin le documentaire C'était écrit : la chute de la maison Balkany
France 5 diffuse le 29 juin le documentaire C'était écrit : la chute de la maison Balkany — MEIGNEUX/VILLARD/NIVIERE/SIPA
  • Mardi, France 5 diffuse le documentaire C’était écrit, la chute de la maison Balkany, qui décrypte l’histoire de ce couple emblématique de la droite, au cœur des rouages de la « machine à cash » du RPR dans les Hauts-de-Seine.
  • Parmi les témoignages inédits, celui de Véronique Hamayon, magistrate qui raconte la façon dont elle a été traitée et menacée par Patrick Balkany pendant son enquête.
  • Le réalisateur regrette les refus des politiques passés par le RPR, l’UMP ou LR d’évoquer le couple formé par Isabelle et Patrick Balkany. « Cela reste un sujet compliqué pour la droite », note-t-il.

Les Balkany, c’est un feuilleton. Feuilleton judiciaire, mais pas que. Ils ont défrayé la chronique pour le meilleur et surtout pour le pire, entre les frasques et coups de sang de Patrick Balkany, tant en public que dans leur vie pas si privée. Dans son reportage C’était écrit, la chute de la maison Balkany, le journaliste Félix Séger revient sur la confrontation de « l’ancien monde de la politique face à la justice du nouveau monde ». Il décrypte l’histoire de ce couple emblématique de la droite, au cœur des rouages de la « machine à cash » du RPR dans les Hauts-de-Seine. Avant la diffusion du documentaire sur France 5, mardi à 20h50, rencontre avec son réalisateur.

Pourquoi vous êtes-vous intéressé au couple Balkany ?

Le principe de la série C’était écrit est de raconter l’histoire immédiate, un fait récent. En 2019 et 2020 c’était une réelle fuite en avant pour les Balkany. Au début du procès, on a l’impression qu’ils étaient les seuls qui ne voulaient pas croire qu’ils pouvaient être condamnés, aller en prison, perdre la mairie. Ils se sont accrochés jusqu’au bout. Ils n’ont pas vu venir leur chute.

C’était écrit car depuis des années tout le monde savait, même si ce n’était pas avéré, qu’il y avait des soucis au niveau de leur patrimoine, de leurs placements fiscaux. Et ces dernières années, il y a une tolérance bien moins forte vis-à-vis des élus de la République, du point de vue de la justice, de la police, ou même des électeurs. C’était écrit, parce qu’ils n’ont pas su s’arrêter.

Qu’est-ce qui est inédit dans votre documentaire ?

On a récupéré des archives privées, des images des années 1980 et 1990 à Levallois-Perret, qui étaient très peu documentées, notamment la campagne de 1995. Il y a aussi cette archive sur le plateau de Mireille Dumas, cette phrase de Patrick Balkany qui blague sur ses infidélités devant sa femme, en parlant de mandat unique et de cumul des mandats. C’était resté un peu comme une légende, car Patrick Balkany parle énormément et on lui prête beaucoup de choses, donc c’est parfois difficile de démêler le vrai du faux. On a eu du mal retrouver cette séquence qui était un peu perdue.

Et sur les témoignages, on a obtenu la parole de personnes qui ne s’étaient pas encore exprimées. Il y a notamment Véronique Hamayon, la magistrate qui raconte la façon dont elle a été traitée et menacée par Patrick Balkany pendant son enquête, et qui n’avait jamais témoigné face caméra. Nous avons eu Didier Schuller [homme politique et ami des Balkany, dont la trahison est à l’origine de leur chute lorsqu’il les a dénoncés à la justice] qui s’était déjà exprimé mais pas autant.

On a eu aussi Agnès Pottier-Dumas, la maire actuelle de Levallois, et son adjoint David-Xavier Weiss, qui faisaient partie de l’équipe des Balkany. Ils ne s’étaient pas exprimés à l’époque mais ont parlé cette fois. Ils sont élus dans leur continuité mais en même temps ils marquent une rupture. Quand on suit le compte Twitter d’Isabelle Balkany, c’est assez croustillant : tous les deux jours, elle se plaint qu’un pot de fleurs est tombé ou que la fontaine ne marche plus. Il y a aussi toujours une incompréhension pour les Balkany des peines dont ils ont écopé car ils espéraient obtenir un poste, une espèce d’emploi fictif à la mairie. Sauf que cela n’est plus possible aujourd’hui. De toute façon ils sont sous bracelet électronique et peuvent sortir de chez eux seulement quatre heures par jour.

Est-ce que vos interlocuteurs se sont livrés facilement face caméra ?

Je pensais que ce serait plus facile. Il y a très peu de politiques dans le film car cela reste un sujet compliqué pour la droite. Parce que Patrick Balkany est ami avec Nicolas Sarkozy, parce qu’il a toujours été là, parce qu’on le voyait tout le temps à l’UMP, et que tout le monde savait. Donc c’est un petit regret de ne pas avoir eu plus de paroles de ce côté-là. Et les Balkany non plus n’ont pas voulu parler. Cela peut paraître étonnant car ils parlent beaucoup dans les médias, mais seulement quand c’est à leur avantage. Ils ne font pas de contradictoire ou de reportage long. Isabelle Balkany a préféré parler chez Hanouna.

Est-ce qu’un couple pareil pourrait exister aujourd’hui dans la politique française ?

Non, et d’ailleurs ils sont assez uniques. Ils sont complémentaires. Ils sont plus connus que certains ministres de la Ve République, alors qu’ils n’ont jamais eu de rôle de premier plan et que ça reste des élus locaux de Levallois-Perret. Mais tout le monde a des images de ce couple.

Il y a cette expression qui est restée et qu’eux détestent, « la tête et les jambes », c’est-à-dire qu’elle était la tête pensante et lui était la façade. Elle s’occupe de la communication, et lui son rôle est d’aller voir tout le monde, de serrer les mains. Lui est incapable d’être organisé, d’écrire, de tenir un journal, mais il est à l’aise pour aller parler à une petite mamie sur le marché. Alors qu’elle, elle s’est présentée à des élections, elle a été élue au conseil départemental, mais elle a perdu ses autres élections parce que dès qu’elle allait au contact avec des gens, ça ne se passait pas bien. Elle n’a pas cette « chose politique » qu’a Patrick Balkany. Ou alors elle se force et ce n’est pas naturel. C’est elle qui faisait tampon avec les médias. Il y avait des chargés de communication à Levallois mais si on voulait une interview avec Patrick Balkany, c’était elle qu’il fallait contacter directement car tout passait par elle. D’ailleurs, s’ils s’étaient séparés en 1996-1997, aucun des deux n’aurait continué la politique. L’un sans l’autre, c’était impossible. Il y a une vraie histoire entre les deux, ils étaient toujours ensemble à la mairie et dans la vie. Ils ont défrayé la chronique à deux, dans tous les aspects possibles.

Est-ce qu’ils ont encore une influence ou une carrière politique devant eux ?

Non aujourd’hui c’est totalement terminé. Ils sont âgés, ils ne sont pas en très bonne santé. Ça paraît assez hallucinant et anachronique de se dire que les Balkany étaient encore en poste jusqu’en 2019 et qu’ils pensaient encore se présenter en 2020 pour repartir sur un mandat de 6 ans, sachant que tout le monde savait. Ils sont de toute façon sous bracelet électronique et inéligibles. Ils ne vont pas revenir à 80 ans, et de toute façon s’ils avaient une influence ce serait uniquement à Levallois-Perret. Mais je pense que les gens ont compris que c’était terminé.