Présidentielle américaine : « Nous avons une obligation de vérité envers le public, si le président ment, nous devons le dire », explique le correspondant de CNN à Paris
INTERVIEW Après avoir annoncé qu'il avait gagné et dénoncé des fraudes dans l'élection, Donald Trump a été coupé par certaines chaînes américains, un moment de télévision rare
What a sad night. « Quelle triste nuit pour les Etats-Unis d’Amérique de voir leur président faussement accuser les gens d’essayer de voler l’élection », a lâché Jake Tapper, le présentateur vedette de CNN à la fin de la conférence de presse de Donald Trump jeudi soir. Une conférence que la chaîne info a diffusée dans son intégralité. Ce qui n’a pas été le cas d’autres networks américains comme MSNBC, ABC ou CBS, qui ont décidé de couper le président.
« Nous voilà encore dans la position inhabituelle de [devoir] non seulement interrompre le président des Etats-Unis, mais aussi de corriger le président des Etats-Unis », a commenté Brian Williams, le présentateur de MSNBC, quarante secondes après que le président américain a pris la parole pour clamer sa victoire et dénoncer le vol de l’élection. De France, ce moment de télévision semble un peu fou, un moment que 20 Minutes a fait commenter à Jim Bittermann, le correspondant de CNN à Paris.
Est-ce la première fois que le président des Etats-Unis est coupé en direct ?
C’est peut-être déjà arrivé, mais cela reste très rare, de l’ordre de l’inédit. Quand il y a une allocution présidentielle, les chaînes la couvrent du début à la fin. C’est d’ailleurs ce qu’a fait CNN mercredi soir, nous avons décidé de diffuser toute la conférence de presse, mais pas seule. Nous l’avons accompagnée de bandeaux défilant et de sous-titres qui pointaient les erreurs et mensonges prononcés par le président. Nous avons ensuite eu un panel pour expliquer sur quels points il avait tort, et combien de mensonges il avait proféré.
Couper ainsi la parole du président, n’est-ce pas de la censure, une atteinte à la liberté d’expression ?
La censure à quel égard ? Nous, journalistes et chaînes d’information, avons une obligation de vérité envers Donald Trump et envers nos téléspectateurs et téléspectatrices. Si quelqu’un, quel qu’il soit, ne dit pas la vérité, nous avons le droit de le couper, de le contredire. Et encore une fois, CNN ne l’a pas coupé. Les autres chaînes vous diront la même chose, nous avons une obligation de vérité lorsqu’il s’agit de couvrir la politique.
Quelle est la meilleure réaction à avoir avec ce genre de direct, s’il y en a une ?
C’est très difficile. J’enseigne le journalisme et je dis toujours à mes étudiants qu’il faut commencer un sujet, un reportage, la couverture d’un événement en faisant table rase, sans opinion, et garder cet état d’esprit jusqu’au bout. Mais à la fin, il faut mettre en perspective, questionner ce qui est dit, ce que ça raconte, pour aider les téléspectateurs. Sinon, vous passez juste les plats, la parole : voilà ce que dit Trump, voilà ce que dit Biden.
Or, nous avons une expérience, une expertise, des principes et toujours cette obligation de ce qui tient de la vérité ou pas. La décision de ne pas couper Trump a été prise par mes supérieurs, par le président de la chaîne, mais j’imagine bien que l’idée était de garder le président à l’antenne pour montrer ce qui était en train de se passer, mais également de permettre au public de garder la perspective sur ce qu’il voit et entend. Si des mensonges sont prononcés, il faut qu’il le sache.
Doit-on s’attendre à d’autres moments de télé comme celui-ci dans les jours ou semaines à venir ?
Ce que nous entendons des correspondants à la Maison Blanche, c’est que Trump pousse pour passer son message qu’il est trompé, que l’élection est une fraude. Mais les gens de son entourage, et beaucoup de Républicains, lui disent que l’élection est a priori pliée, qu’il doit accepter la réalité. Si cela se confirme, bien sûr, quel est le message ? L’argument que l’on entend en fond est que les Américains ont donc finalement rejeté Donald Trump, mais pas nécessairement tous les Républicains. Qui sont en passe de garder le Sénat par exemple. C’est donc le moment pour les Républicains de se réinventer, après quatre années avec Trump.
Est-ce que l’on peut imaginer une allocution d’Emmanuel Macron coupée en direct ?
Je pense que c’est difficile à imaginer, presque impossible et pour plusieurs raisons. Mais la principale est que la France est un pays plus civilisé que les Etats-Unis.