« Vu de Suisse, le Français tombe souvent dans l’excès oratoire », juge Darius Rochebin qui arrive sur LCI

INTERVIEW Le journaliste suisse Darius Rochebin, nouvelle recrue de LCI, a répondu aux questions de « 20 Minutes » avant la première de son émission, ce lundi, à 20h

Propos recueillis par Fabien Randanne
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Le journaliste Darius Rochebin.
Le journaliste Darius Rochebin. — Thomas Braut / TF1
  • Darius Rochebin, 53 ans, a présenté entre 1998 et 2020 les journaux télévisés de la Radio télévision suisse (RTS). Au début de l’été, il a été recruté par le groupe TF1.
  • Le journaliste suisse présentera, dès ce lundi sur LCI, Le 20 H de Darius Rochebin, où il interviewera diverses personnalités.
  • « J’essaie toujours de faire des interviews "balancées", explique-t-il à 20 Minutes. Il s’agit d’éviter toute vision manichéenne. Le fait de venir d’ailleurs, et d’un pays neutre, ça n’est pas indifférent. »

Il est une star en Suisse et sa notoriété a traversé les frontières de la Confédération helvétique grâce à TV5 Monde. Darius Rochebin, qui a présenté pendant vingt-deux ans les journaux télévisés de la RTS – la Radio télévision suisse – s’installe dès ce lundi dans le paysage audiovisuel français. Les soirs de semaine, sur LCI, il sera aux commandes du 20 H de Darius Rochebin (voir encadré), au cours duquel il interviewera notamment des personnalités de tous les horizons. La nouvelle recrue de la chaîne info évoque pour 20 Minutes ce nouveau rendez-vous, sa conception du journalisme et les différences entre la France et la Suisse.

Dans quel état d’esprit êtes-vous à l’approche de votre première sur LCI ?

Plein d’enthousiasme, parce que je pars dans quelque chose de nouveau. J’ai 53 ans, j’essaie de profiter de l’expérience que j’ai mais, en même temps, je débute d’une autre façon. On dit qu’il y a « la grâce du débutant » (sourire), je ne sais pas si elle se produit toujours. J’espère garder une forme de fraîcheur.

Qu’est-ce qui vous a convaincu de quitter la RTS ?

LCI m’a fait une proposition qui a visé juste. La chaîne m’a dit qu’elle s’intéressait à ma patte, à mon style d’interview. C’est évidemment flatteur. Mais c’était davantage que cela : l’occasion de me concentrer sur ce que je préfère : l’interview de fond. Je n’étais pas lassé du JT, même après vingt ans, mais c’est un exercice plus généraliste, où vous changez de sujet toutes les trois minutes.

Au cours de votre carrière, vous avez interviewé de nombreuses personnalités, décroché des exclusivités… Vous avez l’impression d’avoir encore des choses à apprendre et à prouver ?

On fait vraiment un métier où il faut faire ses preuves chaque jour – comme dans d’autres professions d’ailleurs – j’en suis extrêmement conscient, et c’est un stimulant.

Qui rêvez-vous d’interviewer ?

Ce ne sont pas forcément les noms qui « claquent » le plus, et les personnalités les plus inatteignables. J’ai vécu des moments de télévision très forts avec Ginette Kolinka, survivante d’Auschwitz, ou avec l'écrivain Sylvain Tesson​… J’espère faire partager de tels moments sur LCI aussi. Bien sûr, quand on « décroche » un coup, il y a une excitation. J’avais réussi à convaincre Vladimir Poutine en dernière minute. C’est un moment de stress et d’excitation intellectuelle. Vous vous retrouvez à Saint Petersbourg, avec une feuille de papier et un stylo à un coin de table, à griffonner vos questions. On se dit : « Faut pas se rater, coco ! »

Pensez-vous que, le fait que vous soyez suisse influence la manière dont vous êtes perçu et dont vos interlocuteurs vous appréhendent ?

Je crois, un peu. Le fait d’avoir un regard extérieur peut contribuer à l’objectivité. Cela correspond à ma conception du métier – chacun la sienne, je ne critique pas les autres – mais j’essaie toujours de faire des interviews « balancées », c’est-à-dire qui ne sont pas seulement à charge ou à décharge. Il s’agit de mettre en évidence les bons et les mauvais côtés de la personnalité qui est en face de vous, d’éviter toute vision manichéenne. Le fait de venir d’ailleurs, et d’un pays neutre, ça n’est pas indifférent.

Vous parlez de la Suisse comme d’un pays « neutre ». Justement, le pays renvoie l’image, sans doute cliché, du consensus, de la concorde… Quel regard portez-vous sur les médias français où une polémique chasse l’autre et où les réactions suscitées sont très crispées et clivées ?

Il y a effectivement deux cultures opposées. En France la culture de l’affrontement, et en Suisse le culte du consensus. Le rôle de la parole est très différent. Un politicien suisse évitera même de paraître « beau parleur » alors que, vu de Suisse, le Français tombe souvent dans l’excès oratoire. Mais les deux traditions ont leur charme. La culture française, son rayonnement, son universalité, cela reste à mes yeux unique au monde.

Lorsque votre départ de la RTS a été annoncé, les réactions des téléspectateurs et téléspectateurs suisses à votre égard ont été majoritairement très élogieuses. Vous vous attendiez à ce que cela suscite une émotion d’une telle ampleur ?

Franchement, à ce point, non. Evidemment, j’étais très touché, d’autant plus que le journal télévisé est un genre assez austère. Vous ne faites pas tellement de clins d’œil au public ou à la caméra et en plus, souvent, vous donnez de mauvaises nouvelles. Je n’ai jamais été du genre démago qui proclame « J’aime les gens ». Au fond, une certaine sobriété aide à créer un lien fort avec le public. Le naturel en télévision est ce qu’il y a de plus difficile et de plus précieux.

En France, la défiance du public envers les journalistes est relativement forte…

Il y a le même genre de polémiques en Suisse. Mais en réalité l’avis du public est beaucoup plus nuancé. Sur les réseaux sociaux, les mêmes qui critiquent les journalistes sont contents d’avoir les médias professionnels pour avoir une info fiable. On retrouve cette ambiguïté chez beaucoup de gens, mis à part quelques complotistes extrêmes. On débat, on tombe parfois dans l’excès, mais la minute d’après on va sur le site de 20 Minutes, du Monde, du Figaro, on va voir LCI… pour avoir un travail journalistique sérieux. D’ailleurs je ne suis pas nostalgique. Ce n’était pas « mieux avant ». N’oubliez pas les erreurs terribles d’une presse pourtant prestigieuse de naguère : des journaux de droite indulgents pour l’Apartheid ou des journaux de gauche qui louaient Staline ou les Khmers rouges. Aujourd’hui, Internet est un accélérateur de fausses nouvelles, mais il permet aussi de pointer plus vite les mensonges ou les erreurs. La grande discussion des réseaux sociaux a plutôt amélioré le métier.

Vous êtes l’un des rares à tenir ce discours…

J’y crois. D’ailleurs, dans notre émission, il y aura une rubrique de fact-checking dans laquelle on vérifiera les erreurs du Net, mais aussi les bonnes infos que les réseaux sociaux ont amené, en bousculant parfois l’opinion du moment.

Une émission en trois temps

Le 20 H de Darius Rochebin se compose de trois parties. « D’abord, une partie d’actualité. Ensuite, un grand entretien, qui est la marque principale de l’émission. J’interroge une personnalité pendant au moins 20 minutes, sur l’actu, mais aussi dans un registre plus personnel, pour faire son portrait, explique le journaliste. Enfin, dans un troisième temps, nous proposons des rubriques, notamment une rubrique sur l’histoire, qui aide à comprendre les événements présents. »