«Xavier Dupont de Ligonnès» sur M6: «Le pouvoir du récit est à manier avec précaution»
INTERVIEW•A l’occasion de la diffusion du docu-fiction « Xavier Dupont de Ligonnès : Dans la tête du suspect » sur M6, « 20 Minutes » s’est penché sur la difficulté d’adapter des faits divers à la télévision…Propos recueillis par Anne Demoulin
L'essentiel
- Les récits des grandes affaires criminelles cartonnent à la télévision.
- Les auteurs de ces récits adoptent souvent un parti pris.
- Alors, peut-on ou doit-on raconter fidèlement un fait divers à la télévision ? Réponse avec Annick Dubied, directrice de l’Académie du Journalisme et des médias de l’Université de Neuchâtel (Suisse) et coauteure de Le fait divers (PUF).
Après l’affaire Jacqueline Sauvage sur TF1 et avant celle du petit Grégory sur France 3, l’énigme Xavier Dupont de Ligonnès s’invite sur M6 ce lundi soir. Avec Xavier Dupont de Ligonnès : Dans la tête du suspect, le réalisateur Ionut Teianu assume son parti pris fort dans le récit de la tuerie de Nantes et fait fi de la présomption d’innocence. Le téléfilm Jacqueline Sauvage : C'était lui ou moi, diffusé le 3 octobre sur TF1, épousait quant à lui sans nuance le parti de celle qui a abattu son mari violent de trois balles dans le dos.
Alors, peut-on ou doit-on raconter fidèlement un fait divers à la télévision ? Réponse avec Annick Dubied, directrice de l’Académie du Journalisme et des médias de l’Université de Neuchâtel (Suisse) et coauteure de Le fait divers (PUF).
Pourquoi tant de faits divers sont adaptés pour la télévision ?
Le fait divers est un genre qui a toujours beaucoup inspiré la fiction. Ce genre génère beaucoup d’émulation dans le champ littéraire, mais aussi dans le parafictionnel. Le fait divers fournit une très bonne pâte à récit, avec de bons personnages, une situation de départ dans laquelle survient un court-circuit du quotidien, etc. En outre, le fait divers permet de pointer vers une préoccupation sociétale. C’est pourquoi il continue d’inspirer les écrivains et les réalisateurs.
Pourquoi la représentation des faits divers à la télévision est-elle souvent critiquée par les journalistes ?
Avec la fiction ou le docu-fiction, on sort du champ journalistique. Les questions du respect des normes légales et déontologiques ne se posent plus de la même façon que dans le champ journalistique. Par exemple, dans une fiction, quand une affaire est restée en suspens comme celle de Xavier Dupont de Ligonnès, elle devient un réservoir à hypothèses. On peut aussi décider de s’inspirer d’un fait divers mais en s’éloignant beaucoup, en changeant les noms. Ce n’est pas nouveau, Stendhal a suivi dans la Gazette des tribunaux le fait divers qui a inspiré Le Rouge et le Noir. Dans le roman, il change les noms et transforme ce fait divers en une histoire plus étendue.
La licence romanesque n’existe pas devant la loi, peut-on quand même défendre sa version de l’histoire, même dans un docu-fiction ?
Dans le cas de Jacqueline Sauvage, il n’y a pas de parti d’opposition légale ou médiatique, la mère et ses filles sont du même côté. On peut opter pour une version partisane, il n’y a plus personne pour s’en plaindre. Dans l’expression, « docu-fiction », on peut s’autoriser de la « fiction ». Donc, on est dans champ en dehors du journalisme. Un personnage fictif peut être un condensé de personnages réels. Cela se produit aussi dans des travaux journalistiques qui revendiquent une part de fiction. La prise de position doit être vue comme telle. Le récit permet de raconter des choses complexes. Le pouvoir du récit est à manier avec précaution. Il a une grande force émotionnelle. Il y a donc une grande responsabilité à adapter ses faits divers et encore davantage lorsque les personnes concernées sont encore vivantes comme dans le cas de l’affaire Grégory par exemple.