« Insomniaques » : A quoi ressemblerait un monde où plus personne n’arrive à dormir
CAUCHEMAR•« Insomniaques » de Simon Dubreucq imagine une épidémie mondiale qui empêche les malades de dormirLaure Beaudonnet
L'essentiel
- Still up sur AppleTV + et la websérie française Insomniaques accessible sur YouTube s’intéressent à l’insomnie.
- En suivant l’intrigue d’Insomniaques, qui imagine une épidémie mondiale d’insomnie, comment le monde tournerait si plus personne ne dormait ?
- On n’est pas loin, en 2019, « la prévalence de l’insomnie concernait entre 15 et 20 % de la population », selon Santé publique France.
L’insomnie rend fou. Ce n’est pas pour rien que la privation de sommeil figurait parmi les supplices utilisés à Guantanamo et Abou Ghraib pour briser les détenus. La question du manque de repos s’invite dans le monde des séries avec deux nouvelles fictions. Still up (Encore debout) diffusée sur Apple TV+ suit les aventures nocturnes de deux Londoniens insomniaques qui tuent le temps ensemble en visio, attendant que le reste du monde daigne ouvrir les yeux. Présentée en compétition du dernier Festival de la fiction TV de La Rochelle en septembre, la websérie française Insomniaques, réalisée et interprétée par Simon Dubreucq, imagine une société française où plus personne n’arrive à trouver le sommeil.
Dans une ambiance qui rappelle fortement celle du Covid-19, les informations font chaque jour le décompte des décès liés à cette épidémie inexplicable. Joseph, un ethnologue boudé par le CNRS, et sa compagne, Luce, une romancière en mal d’inspiration, tentent une expérience pour remettre la main sur le sommeil. Ils se replient à la campagne, se coupent des réseaux sociaux et testent des activités un peu farfelues, guidés par leur voisin coach (prononcer « coche ») qui a été mystérieusement épargné par l’épidémie d’insomnie mondiale. Une série loufoque entièrement improvisée qui ouvre la porte d’un monde privé de repos. Comment cela se passerait-il si l’ensemble de la société basculait dans l’insomnie chronique ?
Un cinquième de la population insomniaque
La web-série grossit à peine le trait d’une réalité déjà bien répandue en France. Selon Santé publique France, en 2019, « la prévalence de l’insomnie concernait entre 15 et 20 % de la population ». On y est presque, près d’un cinquième des Français ne dort pas suffisamment. L’insomnie repose sur un « ressenti diurne et nocturne. La qualité du sommeil est altérée, soit parce qu’on a des difficultés d’endormissement, soit parce qu’on ne maintient pas bien son sommeil et on se réveille plusieurs fois dans la nuit, soit parce qu’on se réveille trop tôt, explique Pr. Marie-Pia d’Ortho, cheffe du service de physiologie – explorations fonctionnelles et centre du sommeil, à l’hôpital Bichat (AP-HP). La personne fait le lien entre sa mauvaise qualité de sommeil et sa mauvaise qualité de fonctionnement dans la période d’éveil ».
Pour les besoins de la narration, Insomnies s’amuse franchement avec la vérité pathologique. Précisons qu’on ne tombe pas littéralement de sommeil quand on souffre d’insomnies. La série se sert de la narcolepsie pour créer un comique de situation assez réjouissant. Si ce trouble caractérisé par des endormissements incontrôlables n’a rien à voir avec l’insomnie, la série montre bien les difficultés cognitives engendrées par la privation de sommeil. Le héros cherche ses mots, perd le fil de sa pensée. Les malades s’enferment dans leur esprit obsessionnel et tortueux, incapables de suivre normalement une discussion. Les conversations, souvent sans queue ni tête, créent une ambiance aussi anxiogène que cocasse.
Lorsque la qualité ou la quantité de sommeil est insuffisante (en dessous de 7 heures, en gros), l’individu peine à se concentrer, il commet des erreurs. « Il y a des conséquences thymiques, on gère moins bien ses émotions. Il existe un lien entre dette de sommeil et dépression et anxiété », note la spécialiste. Physiquement aussi, le corps est éprouvé. La dette de sommeil génère des mauvaises réponses immunitaires. Le patient est plus sujet aux infections, aux maladies cardiovasculaires et métaboliques. Si les activités physiques imaginées par le groupe d’insomniaques (guider une boule de pétanque avec la force du souffle) n’auraient que peu d’effet pour retomber dans les bras de Morphée, il existe bien des moyens accéder au monde des rêves. En tête, les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) qui s’avèrent particulièrement efficaces pour retrouver un fonctionnement nocturne normal.
« L’absence totale de sommeil n’est pas compatible avec la vie »
Il est difficile de donner un chiffre précis en dessous duquel il ne faut pas descendre, mais « l’absence totale de sommeil n’est pas compatible avec la vie », pointe la Pr. Marie-Pia d’Ortho. En dessous de 2h30 de sommeil par jour, de façon chronique, « ce n’est pas possible », poursuit-elle. Des expériences sur des rats ont d’ailleurs montré que la privation totale de sommeil pendant une dizaine de jours (à l’échelle du rat, cela reviendrait à environ deux ans chez l’humain) induit la mort de l’animal.
Dans cette fiction, les personnages vivent dans ce cauchemar éveillé depuis onze jours. Ils ne dorment pas plus d’une heure et demie quand ils ont de la chance. Les relations s’électrisent. Joseph devient obsessionnel tandis que Luce tombe dans une dépression semi-paranoïaque. La cousine Joséphine voit ses troubles de la personnalité obsessionnelle compulsive (TOC) prendre le dessus sur elle. Le vivre ensemble se dégrade à mesure que la dette de sommeil augmente. A l’échelle de la société, on basculerait littéralement dans un monde de fous. Et on ne peut s’empêcher de sourire quand on sait que le binge-watching a souvent été accusé de provoquer des insomnies chez les sériephiles.