« Stranger Things » : Pourquoi les personnages russes font-ils de si bons méchants ?
BONS BAISERS Alors que Eleven, Will, Mike, Dustin et Lucas font leur grand retour dans la saison 4 de « Stranger Things » sur Netflix, leurs ennemis russes sont à leurs trousses… Et historiquement, ce n’est pas un hasard
- Après avoir été les mystérieux méchants à l’œuvre dans un complot dans la saison 3, les Russes reviennent dans la saison 4 de Stranger Things.
- A l’instar de nombreux films hollywoodiens des années 1980, la série de Netflix utilise la vision archétypale du méchant russe.
- L’histoire du cinéma montre que la figure de l’antagoniste venu de Russie remonte à bien avant la guerre froide.
Après trois ans d’attente et des milliers de théories en ligne, les adolescents d’Hawkins sont de retour sur le petit écran pour la quatrième saison de Stranger Things. Composée de deux volets, l’intrigue promet d’être plus sombre, à mesure que les personnages grandissent et que les monstres évoluent. Toute la saison 3 de la série était centrée autour d’un groupe de Russes et de la machine qu’ils avaient fabriqué pour ouvrir une porte vers l’autre monde, sous la ville d’Hawkins : les personnages du méchant Grigori ou du scientifique Alexei ont créé de nombreuses réactions chez les fans.
Dans ses bandes annonces pour la saison 4, les frères Duffer ont réservé quelques surprises aux spectateurs : le retour de Hopper, crâne rasé, visiblement dans un camp enneigé ; Joyce qui reçoit un paquet aux timbres estampillés du drapeau communiste ; de la neige et des officiers en chapka… Les Russes sont bien de retour, et une partie de l’intrigue se déroule dans des contrées lointaines d’Hawkins où on aime la vodka.
Un bon méchant, l’élément essentiel d’un bon film
Que Stranger Things, qui se déroule dans les années 1980 aux Etats-Unis, place des personnages russes en tant qu’antagonistes n’a rien d’original. Hollywood utilise l’archétype du méchant russe dans ses productions depuis les années 1920/1930. Comme l’explique Joël Augros, enseignant-chercheur et spécialiste de l’histoire du cinéma américain, « le méchant est nécessaire dans la narration des films hollywoodiens : un bon méchant fait un bon film. C’est quasi obligatoire ».
De Youri Komarov dans Die Hard, en passant par Irina Spalko dans Indiana Jones et Lev Andropov dans Armageddon, sans oublier Tatiana Romanova dans Bons baisers de Russie (et tous les autres méchants russes qui peuplent la saga James Bond), l’archétype du méchant russe est bien présent dans l’imaginaire hollywoodien. Construit comme un personnage froid et cruel, limite sociopathe, avec un accent prononcé, les Russes dans le cinéma américain semblent rassembler une flopée de stéréotypes.
L’impact du code Hays
Dans les années 1940 puis 1950, le cinéma américain est à son apogée, mais est régulièrement secoué par des scandales. En 1934 sera mis en place le code Hays (ou code de production), appliqué pour contrôler ce qui apparaît dans les films de l’époque : une vision puritaine du cinéma, excluant toute nudité, crime, péché. Ce code sera appliqué jusqu’en 1966. « Hollywood va faire très attention à cette période à la nationalité des méchants, ce qui pourrait empêcher la vente d’un film dans certains pays. Par exemple, hors de questions de faire des méchants allemands pour se mettre à dos le marché germanique, donc on le transforme en Russe : on est après 1917, donc on ne vend déjà plus de films au marché russe » explique Joël Augros.
Si pendant la guerre froide, Hollywood n’hésite pas à user de son soft power, marqué par la chasse aux sorcières des communistes qui se cacheraient dans ses rangs, cette peur grandissante de l’espionnage au compte de la Russie nourrit de nombreuses œuvres du cinéma américain. Mais comme le rappelle Joël Augros, « ce n’est pas systématique. Dans les années 1950, si on avait des méchants russes trop guerre froide, ça risquait de défavoriser le film dans des pays où le parti communiste était important, comme la France ou l’Italie ». Depuis, le méchant russe est devenu un stéréotype de lui-même, une vision manichéenne du mal, particulièrement dans de nombreux films d’action des années 1980/1990 (Rocky, Die Hard, Rambo, Top Gun…).
Stéréotypes, cruauté et KGB
Mais au final, présenter les personnages russes, voire de l’Est de l’Europe en général, comme des méchants parfaits, n’est-ce pas un peu… stéréotypé ? « Ça n’a jamais été très moderne, on reprend un peu les clichés qui traînent. Les personnages russes sont associés à une sorte de cruauté, il y a aussi l’imaginaire de la mafia, les oligarques, de l’argent gagné d’une façon tordue, et avec un étalage de richesse… C’est très cinématographique » ajoute Joël Augros. Un imaginaire qui touche les nationalités voisines : on se rappelle que dans la dernière saison d’Emily in Paris, un personnage présenté comme ukrainien s’avérait voleur et menteur, ce qui avait suscité un tollé.
L’inclusion de personnages russes dans Stranger Things, comme dans de nombreuses autres œuvres du cinéma américain, est peut-être permise par une ambiance générale : guerre en Ukraine, mainmise sur le pouvoir par Vladimir Poutine, déstabilisation des élections américaines… Cela renforcerait dans la société américaine cette sorte d’ennemi invisible, version agents spéciaux du KGB qui sert à nourrir l’imaginaire des scénaristes. Une chose est sûre, c’est que la nouvelle saison de Stranger Things devrait avoir lieu en partie près de la Volga, ambiance barbelés et chapka par -30 degrés. Cliché, vous avez dit ?