« Pen15 » : Une série d’adolescentes pas comme les autres
CRISE D'ADO (ET DE RIRE) « Pen15 », disponible ce vendredi sur MyCanal, suit le quotidien de Maya et Anna, deux collégiennes de 13 ans, campées par deux trentenaires
- Les dix épisodes de la première saison de Pen15 sont disponibles en intégralité depuis ce vendredi sur MyCanal.
- Ses créatrices, Maya Erskine et Anna Konkle, trentenaires, incarnent deux collégiennes, au milieu d’un casting d’adolescents.
- Comme Freaks and Geeks, Pen15 a une compréhension profonde et immédiate de la façon dont les adolescents absorbent et perpétuent les traumatismes.
Retour à l’âge ingrat ! De Sex Education à Euphoria en passant par Derry Girls, les teen show font florès sur toutes les plateformes de streaming. Dans ce paysage fécond, Pen15, série en 10 épisodes disponible en intégralité sur myCanal ce vendredi, pourrait n’être qu’une énième comédie sur les affres de la puberté. Comment cette série s’impose dans la cour des grandes séries adolescentes ?
L’une est une grande gigue affublée d’un appareil dentaire disproportionné, l’autre, d’une improbable coupe au bol. Anna et Maya, 13 ans et inséparables, s’apprêtent à entrer en 5e sur fond de Britney Spears au début des années 2000. Rentrée des classes, rapports compliqués avec les parents ou encore premiers baisers, Pen15 aborde les thèmes récurrents des teen shows... mais d'une manière bien particulière.
Des héroïnes de 13 ans campées par des trentenaires
Ses créatrices, Maya Erskine et Anna Konkle, trentenaires, incarnent les deux collégiennes, au milieu d’un casting d’adolescents. Ce décalage donne de la chair au malaise et à l’étrangeté du corps adolescent. Au-delà du gadget, ce décalage devient pertinent pour des personnages qui se sentent rejetés.
Le concept garantit par contraste un effet comique ou troublant lorsqu’une scène invite Anna Konkle à flirter avec sa jeune costar Brady Allen. Le montage laisse alors judicieusement la place à une paire de langues désincarnées où l’organe buccal masculin appartient clairement à un visage d’adulte.
Les deux créatrices mettent ici en scène leurs souvenirs, tour à tour tendres et traumatisants de l’âge des premiers émois. Ce dispositif convoque l’essence même du teen show, à savoir un travail d’adultes qui regardent en arrière leurs adolescences avec la distance et le bénéfice de l’expérience.
De la profondeur sous le vernis de la comédie potache
A l’instar de Big Mouth sur Netflix, Pen15 revendique l’usage de l’humour limite graveleux, jusqu’ici réservé aux gars, des comédies type American Pie. La série pirate les codes de la masculinité pour mieux se les réapproprier.
La série parle ainsi de tout ce dont une adolescente n’est pas censée parler, comme la masturbation ou les règles. Sous le vernis potache du titre Pen15 ( une plaisanterie des cours d'école américaines, faisant référence au mot «pénis»), la série dépeint avec acuité et sensibilité ce que ressentent les filles durant leur adolescence. Il s’agit à bien des égards d’un processus continu de perte. Pen15 sait que derrière la question du sexe, il s’agit de grandir et de laisser tomber l’enfance.
Si cette comédie cathartique fait beaucoup rire, elle ne se moque jamais. Maya et Anna sont, comme Britney Spears le chante, pas des filles et pas encore des femmes. Quand elles jouent avec leurs poupées Sylvanian Families, leurs hormones en éveil font jouer aux minuscules créatures des scènes torrides. (« Je ne peux plus faire ça. J’ai une femme et des enfants à la maison ! »)
Qu'il s'agisse de s’entraîner à s’embrasser, de boire sa première bière ou d'affronter le racisme de ses copines, Pen15 donne à voir des expériences personnelles intenses. Comme Freaks and Geeks, Pen15 a une compréhension profonde et immédiate de la façon dont les adolescents absorbent et perpétuent les traumatismes.
Pen15 se déroule d’ailleurs en l’an 2000 – année de diffusion de la mythique série de Paul Feig et Judd Apatow - et s’attache aux détails du début du siècle comme la messagerie instantanée AOL Instant Messenger à l’inoubliable « Wazzup ? » ou les grimaces d’Ace Ventura tout en se faisant le miroir des préoccupations actuelles.
Une mise en scène créative
Pen15 fourmille de trouvailles étonnantes en matière de mise en scène. Lorsque Maya et Anna se retrouvent un soir dans un garage où un groupe de filles profitent de l’absence des parents pour boire des bières et se défoncer au dépoussiérant pour ordinateurs, les deux amies, mal à l’aise, se scrutent. « On part d’ici », apparaît en sous-titre. On pense encore à Maya voyant son premier tampon dix fois plus gros qu’il ne l’est réellement ou à une séance de maquillage de miroir effectuée à partir du point de vue du miroir.
Rarement, on aura décrit ainsi la masturbation féminine avec ce plan sur la vulve (couverte) mais littéralement palpitante de Maya. Art du détournement des codes masculins: on n'avaut jamais vu une jeune fille essuyer ses sécrétions sur la moquette. Pen 15 montre la lutte d’une jeune fille, complètement seule, face à l’urgence corps qui déborde.
Ce sera ensuite la honte féminine, externalisée sous la forme de son défunt grand-père (« ojichan » en japonais) alors que le fantôme sourit en voyant le frère de Maya, Shuji, télécharger du porno sur AOL. La honte hantera la sexualité de Maya d’une manière qui ne hantera jamais celle de son frère. Oui, Pen15 est tout à la fois le journal très drôle de deux adolescentes mais aussi une inconfortable machine à remonter le temps.