« Nous contemplons Dracula comme un cochon qui regarde un fermier », raconte Steven Moffat
INTERVIEW•Après « Sherlock », Steven Moffat, s’est attaqué avec son compère Mark Gatiss au roman de Bram Stocker, « Dracula ». Une minisérie disponible depuis samedi sur NetflixPropos recueillis par Anne Demoulin
L'essentiel
- Les créateurs de Sherlock, Steven Moffat et Mark Gatiss, se sont attaqués à l’adaptation d’un autre mythe, Dracula.
- Diffusée le jour de l’An outre-Manche sur BCC One, la minisérie en trois volets de 90 minutes est disponible ce samedi sur Netflix.
- 20 Minutes a rencontré Steven Moffat à Londres en décembre, à l’occasion de l’avant-première de la série fantastique au British Film Institut.
Après avoir revisité les aventures du plus célèbre des détectives, Sherlock Holmes, Steven Moffat et Mark Gatiss ont revampé le plus légendaires des vampires. Avec Dracula, minisérie en trois épisodes de 90 minutes disponible ce samedi sur Netflix, les deux scénaristes livrent une réinterprétation jubilatoire du roman épistolaire de Bram Stoker, publié en 1897.
Steven Moffat a parlé à 20 Minutes de sa vision du macabre mythe à l’occasion de l’avant-première de la série fantastique, organisée en décembre au British Film Institut.
On ne compte plus les adaptations de Dracula, qu’est-ce qui vous a donné envie de faire la vôtre ?
Ça a commencé comme une blague ! Quand on s’est demandé quoi faire après Sherlock, on s’est dit : « Faisons Dracula, c’est l’autre adaptation que tout le monde fait ! ». Et puis, on en a parlé, et on avait quelques bonnes idées et on s’est dit que cela pouvait être intéressant. Dracula est une de ces figures iconiques que chacun peut interpréter à sa manière avec son propre sous-texte… Même si ce dont il traite vraiment, c’est l’histoire d’un vampire.
On dit pourtant que chaque adaptation de Dracula dit quelque chose de son époque…
Je ne crois pas que je souscrive à ça. Je n’ai jamais vu d’interprétation critique de quoique ce soit qui ne finit pas en autoportrait du critique. Les gens voient dans les œuvres ce qu’ils y apportent. Dracula est simplement une histoire de vampires. Je ne sais pas s’il parle de notre époque. En ce qui le concerne, le terme « intemporel » s’applique. Quand nous contemplons Dracula, nous le contemplons comme un cochon qui contemple un fermier. Le fermier ne pense pas qu’il déteste le cochon, mais le cochon pense que si. C’est précisément cela que je trouve intéressant.
Dans une interview, Mark Gattis a déclaré que votre version de Dracula est « à la fois fidèle et infidèle »…
Mark est clairement fou ! Que signifie cette phrase ? (rires) Comme pour Sherlock, nous avons à la fois pris des éléments ignorés de la plupart des films et modifié complètement certains éléments. Dracula est devenu un mythe. C’est difficile de déterminer quel est le texte original. Le roman de Bram Stoker, qui n’a pas été un succès immédiat ? La pièce de théâtre, qui a été un immense succès ? Le film Nosferatu, qui n’est pas une adaptation officielle ? A quoi faut-il être fidèle ? Tout le monde ignore le fait que Dracula est moustachu et pourtant, c’est écrit dans le livre !
Vous jouez à faire des clins d’œil aux précédentes versions…
On a relu le roman et on a tout regardé. Chaque adaptation a ajouté quelque chose à la mythologie. De nombreux scénaristes se sont inspirés des versions précédentes. Nosferatu de Friedrich Wilhelm Murnau a introduit l’idée que Dracula pouvait être tué par la lumière du soleil. Ce n’est absolument pas le cas dans le livre. Le film de Tod Browning avec Bela Lugosi s’inspire de la pièce et de l’idée d’un Dracula suave et charmant. Au final, toutes les versions se nourrissent les unes, les autres même si elles se contredisent parfois. C’est pourquoi personne ne se lassera jamais de raconter cette histoire.
Votre Dracula est « le héros de sa propre histoire », pouvez-vous développer ?
Même dans le roman de Bram Stoker, Dracula n’est pas le héros, le personnage principal. Il se tient dans l’ombre. Nous avions envie de le mettre au cœur de l’histoire, et pas en marge. Mais l’idée n’était pas d’en faire quelqu’un de sympa, parce qu’il ne l’est pas. Il est terrible. C’était un challenge terriblement difficile.
Qu’est-ce qui motive votre Dracula ?
Dire ce qui le motive m’obligerait à trop en dévoiler. Mais à un niveau basique, il veut juste rester en vie. Il y a une brillante réplique d’Hannibal Lecter dans Le silence des agneaux où il dit : « Nothing happened to me. I happened. » (« Il ne m’est rien arrivé. J’ai agi. ») Cela s’applique à Dracula.
Comment avez-vous trouvé Claes Bang pour camper votre Dracula ?
Tout le crédit va à Kate Rhodes James, notre directrice de casting, qui l’a déniché. On voulait quelqu’un d’environ 40-50 ans, parce que Dracula doit être un homme mûr, charismatique et beau, qui ne ressemble pas à un Britannique et dont personne n’avait vraiment entendu parler. Généralement, les gens beaux, charismatiques et bons acteurs de cet âge sont célèbres. Kate Rhodes Jame nous a envoyé une liste avec le nom de Claes Bang et un lien avec un extrait de The Square. Je ne l’avais jamais vu avant. Il était un brillant acteur, sexy et parlait un anglais presque parfait, ce qui est idéal pour Dracula. Avec Mark, on a su tout de suite qu’on ne trouverait pas mieux que lui.
Vous avez beaucoup développé le personnage de Sœur Agatha….
Dans le roman, Sœur Agatha est juste une nonne qui donne des nouvelles de Jonathan à Mina. Nous voulions rendre les scènes où Jonathan reste dans le couvent intéressantes, d’où l’idée d’en faire une nonne un peu hors normes. Et puis, comme cela fonctionnait. On s’est demandé qui pourrait être l’antagoniste idéal de Dracula. Evidemment, une femme qui porte un crucifix !
Il y a aussi une sorte de tension sexuelle entre eux, non ?
Je m’inquiète vraiment pour vos rencontres amoureuses ! (rires) Même si elle trouve cet homme abominable, elle est fascinée parce qu’elle n’a jamais rencontré quelqu’un d’aussi intelligent qu’elle. Elle passe ses journées à parler avec des nonnes ennuyeuses. Et Dracula ressent la même chose. Tout le monde l’ennuie. Et il fait la rencontre de la plus intéressante nonne de l’histoire de l’humanité. A quoi bon être bon à quelque chose si vous ne pouvez pas y jouer avec quelqu’un d’aussi bon que vous ?
Pouvez-vous parler de l’univers visuel de Dracula et de ce château incroyable ?
Autant nous avons pris des libertés sur le plan narratif, comme avec ce flirt entre une nonne et Dracula, autant nous voulions donner au spectateur tout ce qu’il attend de Dracula. Comme pour Sherlock, qui malgré sa modernité, portait la redingote, il y a certaines choses qu’on se doit d’avoir pour avoir un Dracula : le château adossé à la pleine lune, l’homme drapé dans la cape, la chauve-souris qui vole autour. On a tourné les scènes d’extérieur au château d’Orava en Slovaquie, où a été filmé Nosferatu. L’intérieur du château est une merveilleuse et habile construction en plateau.
Pourquoi, comme pour Sherlock, avez-vous choisi ce format de 3 x 90 minutes ?
Cela fait moins de travail ! (rires) J’aime assez le format 90 minutes, parce que cela permet de voyager sur une bonne distance. J’aime les longues scènes et on ne peut pas se permettre cela en 45 minutes. Cela permet d’avoir trois films, qui peuvent chacun avoir leur propre style.