«Game of Thrones»: «Cette saga traite de l’héritage des fautes passées, de la marche de l’histoire»

GAME OF THESES La saga HBO n’a pas inspiré que des fans par millions, elle a également suscité des études et thèses de chercheurs en sciences divers. Aujourd’hui Lionel Davoust, auteur de fantasy, nous parle de « Game of Thrones »

Propos recueillis par Benjamin Chapon
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Drogon donne la mesure de sa puissance de feu dans la saison 7 de « Game of Thrones ».
Drogon donne la mesure de sa puissance de feu dans la saison 7 de « Game of Thrones ». — HBO
  • Avec sa huitième saison, Game of Thrones achève une saga suivie par des millions de téléspectateurs dans le monde.
  • Le phénomène a inspiré des chercheurs qui ont produit études et thèses dans diverses disciplines.
  • « 20 Minutes » a rencontré Lionel Davoust, auteur de fantasy et ex-biologiste.

Des zombies venus du froid, des dragons, des loups géants et des prêtresses rouges qui ressuscitent les gens… Game of Thrones, c’est du sérieux. Alors forcément, la saga a intéressé des scientifiques de tout poil dès ses débuts. Sociologues, politologues, historiens ou démographes ont réalisé thèses et études sur la série HBO au succès planétaire.

20 Minutes a choisi de leur donner la parole durant la diffusion de la huitième et dernière saison de la saga, pour jeter un nouveau regard sur une série qui restera dans les annales.

Aujourd’hui, nous interrogeons Lionel Davoust, auteur de romans de fantasy et ancien biologiste, et spécialiste de l’œuvre de George R.R. Martin. Il analyse pour nous le rôle des éléments « naturels » – faune, flore, climat, dragons… – de la saga.

Dans l’épisode 5 de la saison 8, le dragon de Daenerys crache beaucoup de feu, et longtemps… Les dragons de « Game of Thrones » sont-ils « réalistes » selon vous ?

Nous parlons d’une espèce animale fictive, dans un univers de fantasy où la magie fonctionne, donc il est très difficile de décider ce qui est réaliste ou non. Ce qui est important dans un récit d’imaginaire, c’est que l’univers parle à notre enchantement tout en fonctionnant en accord avec ses propres présupposés, afin que lecteurs et lectrices ne sortent pas brutalement de l’histoire en s’écriant : « Attends, mais ça ne fonctionne pas, ça… ! » À ce titre, je pense que les dragons de « Game of Thrones » font mieux que remplir le contrat : tout en se conformant à l’archétype classique, ils sont très impressionnants visuellement et épousent nos attentes (ils sont puissants, crachent du feu, etc.). Cependant, les problèmes posés par leur alimentation se présentent plusieurs fois (un animal de cette taille mange, et beaucoup !). Donc, il me semble que « Game of Thrones » fait du bon travail pour ancrer la présence de son bestiaire fantastique afin de faire rêver notre imaginaire – ce qui est, je pense, la fonction première des dragons.

Et les Marcheurs blancs, et leur armée, en quoi se distinguent-ils de la figure traditionnelle du zombie ?

Le zombie est intéressant car je n’ai pas l’impression qu’il en existe une représentation purement archétypale au-delà de caractéristiques très générales : un mort-vivant qui propage son état comme une maladie, mettons. Le zombie est davantage une force de la nature irrépressible et dangereuse, un cataclysme avec lequel il faut composer qu’un ennemi personnifié. En conséquence, je trouve que chaque auteur a tendance à se l’approprier pour mettre en scène son propos et ses personnages. Et c’est ce que l’on trouve dans « Game of Thrones », où cette menace cristallise les failles politiques et les égoïsmes de Westeros.

« Game of Thrones est avant tout une variation sur le pouvoir et la survie »

Le cycle des saisons de « Game of Thrones » ne serait-il pas la principale intrigue de la saga ?

Là aussi, c’est une menace générale, qui plane sur Westeros et contribue à mettre les rouages du pouvoir et du conflit en marche. Si l’on veut y voir une intrigue, c’est au sens où l’est Godot chez Beckett : c’est un moteur, un prétexte, et dans le cas de « Game of Thrones », un des éléments perturbateurs qui mettent en exergue les conflits du récit. Ici, il s’agit simplement du passage du temps qui se transforme, peu à peu, en urgence.

« Game of Thrones » est-elle une saga sur le dérèglement climatique, comme on l’a parfois entendu ?

À mon sens, absolument pas. Il n’y a aucune des causes d’un dérèglement climatique dans « Game of Thrones » et cet étrange et aléatoire cycle des saisons est toujours présenté comme un phénomène naturel auquel il faut se préparer. C’est intéressant cependant que l’on y voit cette dimension, car cela témoigne d’une prise de conscience salutaire et nécessaire de l’urgence de notre propre planète – à travers cela, on cherche à plaquer le thème sur la fiction, afin de se rassurer, d’essayer de l’apprivoiser. Pour « Game of Thrones », c’est à mon sens erroné, mais c’est agréable de voir à travers cela que l’on s’en soucie !

Pour moi, « Game of Thrones » est avant tout une variation sur le pouvoir et la survie, comme en témoignent les inspirations principales de George R.R. Martin (Les Rois maudits et la guerre des Deux-Roses). Je vois dans cette saga avant tout une fantasy historique qui traite de désunion, de l’héritage des fautes passées, de la marche de l’histoire, et tout l’environnement vient aiguiser ces conflits et les mettre en scène.

« On raconte que les gens ne savent plus se concentrer, suivre une histoire complexe… Le succès de cette saga est la preuve que si ! »

Comment est perçu George R.R. Martin par les auteurs de fantasy ?

Très bien ! Il a conçu une œuvre immense, de grande qualité (qui remonte à bien avant l’adaptation télévisée de « Game of Thrones ») et, très honnêtement, son succès irrigue le genre entier. La série « Game of Thrones » a porté la fantasy à la connaissance du plus grand nombre (tout comme les adaptations du « Seigneur des Anneaux » et de « Harry Potter »). Martin n’est pas le seul responsable, mais il a clairement contribué à l’ancrer dans l’esprit du grand public. En démontrant la qualité et la vitalité du genre, il concourt aussi à ouvrir la voie à la découverte de beaucoup d’autres auteurs et de leurs univers : on ne peut que l’en remercier !

En quoi « Game of Thrones » se distingue du reste de la production fantasy ?

Pour ma part, deux éléments ressortent : la complexité et le réalisme. « Game of Thrones » n’est évidemment pas la première saga du genre, ni le premier univers-monde développé avec une telle profondeur (Tolkien nous a tous montré la voie), mais elle me semble une des rares à montrer tant de personnages, de fils d’intrigue, d’enjeux simultanés, ce qui donne une ampleur épique à l’ensemble. Soit dit en passant, c’est aussi une ode à l’intelligence du lectorat – on raconte que les gens ne savent plus se concentrer, suivre une histoire complexe… La preuve que si !

« Game of Thrones » dépeint également un cadre que l’on peut qualifier de réaliste par son côté âpre et sans pitié, où la mort est fréquente. Cette dureté est assez rare en fiction, et ne fait qu’accroître la tension du récit. En fait, à mon sens, le plus intéressant dans « Game of Thrones »​ n’est pas tant l’usage que George R.R. Martin fait de l’arsenal du genre, somme toute assez archétypal, mais sa maîtrise narrative impressionnante, ainsi que la profondeur de ses personnages comme de ses intrigues.