«Aux animaux la guerre»: «Le pari, c'est faire de la sociologie avec un flingue», estime Nicolas Mathieu
INTERVIEW «20 minutes» a rencontré Nicolas Mathieu alors que le Lorrain n’était pas encore lauréat du prix Goncourt 2018, pour discuter de l’adaptation de son précédent livre, «Aux animaux la guerre» en série…
Un polar âpre et captivant qui montre comment la violence sociale devient la violence tout court. France 3 diffuse à partir de ce jeudi à 21 heures Aux animaux la guerre, minisérie en 6x52, adaptée du roman du même nom de Nicolas Mathieu. L’auteur vosgien signe le scénario avec le cinéaste Alain Tasma, qui livre une mise en scène percutante. Cette fresque sociale croise le destin de Rita (Olivia Bonamy), une inspectrice de travail spécialiste des causes perdues et de Martel ( Roschdy Zem, prix d’interprétation masculine lors du dernier festival Séries Mania, à Lille pour ce rôle), un ouvrier syndicaliste dans une usine menacée de fermeture au cœur des Vosges.
Multipliant les jobs pour payer l’hébergement de sa mère en maison de retraite, Martel s’acoquine dangereusement avec Bruce (Florent Dorizon), videur dans un club et bodybuilder. Acculés, ces deux-là sont prêts à tout, même à franchir la ligne rouge, pour ne pas crever et sauver l’usine. 20 minutes a rencontré Nicolas Mathieu lors d’une table ronde à Séries Mania, alors que le Lorrain n’était pas encore lauréat du prix Goncourt 2018, pour discuter de l’adaptation de son livre en série.
C’est la première fois que vous voyez vos personnages prendre vie à l’écran. Emu ?
C’est très bizarre ! Ils sont à la fois complètement mes personnages et ils sont devenus autre chose, puisqu’il s’agit de la série d’Alain Tasma aussi et qu’ils sont incarnés par des comédiens. Il y a un autre phénomène assez bizarre. Quand j’étais dans ma chambre en train d’écrire mon histoire, je me souvenais de la cour de mon bahut, des choses que j’avais vécu à l’âge de 17 ans. Et puis, j’ai reçu des photos de cette même cour avec toute une équipe de tournage. Il y a aussi cet effet retour à ma propre vie qui est très troublant. On se dit : « Là où j’ai fumé mes premières clopes, ils sont en train de tourner ».
Vous cosignez l’adaptation, le scénario et les dialogues. Cela n’a pas été trop difficile de se remettre dans cette histoire publiée en 2014 ?
En fait, je n’en étais jamais vraiment sorti ! Mon prochain livre Leurs enfants après eux poursuit sur la même veine, je ne rentre pas dans une histoire pour en sortir, ce sont des sillons qu’on creuse, certains durent, d’autres sont moins longs.
A partir de l’épisode 4, vos lecteurs vont découvrir des événements qui ne figurent pas dans le roman…
A la fin du roman, certains personnages restent au tapis, donc il a fallu redécouper les choses et retendre des câbles… Quand on accepte que son livre soit adapté, il faut en faire le deuil. Je ne me suis jamais posé en défenseur de l’intégrité absolu du livre, ce qu’on était en train de faire, c’était un objet nouveau, notre scénario, puis la série d’Alain Tasma. Je savais que ce ne serait plus mon livre, à partir de là, on s’est mis à penser aux personnages et comment les faire exister jusqu’au bout sur ces six épisodes. C’est un travail d’écriture collectif qui est assez différent et très agréable. C’était bien !
Michel Bussi, dont les livres ont été souvent adaptés en série, parle d’une « part de trahison » dans l’adaptation…
Tout dépend de ce qui est trahi, si c’est la lettre ou le fond. Sur le fond, j’ai l’impression qu’on n’a rien trahi du tout. C’est la même exigence, la même âpreté. On parle des mêmes gens et pour les mêmes gens, et le pari de départ, c’est faire de la sociologie avec un flingue, comme le disait le Canard enchaîné dans sa critique du livre. Je voulais restituer la vie des gens en prenant le prétexte du roman noir pour parler d’autre chose, tout ça a été tenu d’un bout à l’autre. Il n’y a pas de trahison. Il faut renoncer à l’identité du livre, ce ne sera pas la même chose, c’est sûr.