Festival de la Fiction TV de La Rochelle: «Les héros sont plus proches de la réalité, ils ont nos défauts, nos vices, nos obsessions»
INTERVIEW « 20 Minutes» s'est entretenu avec Yves Bigot, responsable du comité de sélection France du Festival de la Fiction TV de La Rochelle et directeur général de TV5 Monde...
La 20e édition du Festival de la fiction TV a ouvert ses portes ce mercredi à La Rochelle. Sur le Vieux Port jusqu’à samedi, les quelque 35.000 festivaliers attendus pourront croiser Aure Atika, Louise Bourgouin, Emilie Dequenne, Marie Gillain, la présidente du jury de cette 20e édition, Samuel Labarthe, Yves Rénier, Muriel Robin, et bien d’autres. Les professionnels plancheront, quant à eux, au cours d’un grand débat sur la réforme de l’audiovisuel : quelles orientations et quelles conséquences pour les acteurs publics et privés de la création ?
Les professionnels et le public auront l’occasion de découvrir en avant-première pas moins de 25 fictions françaises inédites, en compétition officielle, dont le téléfilm Jacqueline Sauvage, c’était lui ou moi, la saison 3 de Dix pour cent, la série Les Rivières pourpres ou la première série française d’Amazon Prime Video, Deutsch-les-Landes. Derrière cette sélection qui reflète le meilleur de la rentrée audiovisuelle hexagonale, Yves Bigot, directeur général de TV5 Monde et responsable du comité de sélection France.
Qu’est-ce que le festival de la fiction TV apporte depuis vingt ans à la fiction française ?
Près de 2.000 professionnels de la fiction se retrouvent, et c’est important d’avoir un lieu pour échanger. Ce festival permet aussi de rencontrer le public, ce qui est important aussi, parce qu’à la télévision, les professionnels ont peu d’occasions de rencontrer les téléspectateurs. C’est d’autant plus vrai pour les programmes de fiction où l’on fonctionne en vase clôt, à la différence des programmes de divertissement, qui sont souvent tournés en public. Le festival de la Fiction TV est donc un moyen pour le public, les professionnels et les vedettes de se rencontrer. C’est aussi l’occasion de voir ce qui va se faire dans l’année qui vient.
Vous êtes pour la seconde fois à la tête du comité sélection France…
On visionne quelque 60 fictions pendant un mois et demi. C’est assez intensif ! Pour les séries, on a deux, trois, voire quatre épisodes à regarder. On a dû recevoir une bonne centaine d’épisodes et comme on ne porte pas le même regard sur les premières œuvres qu’on voit que sur les dernières, alors on revisionne beaucoup les premières. Cela permet d’avoir un panorama de la fiction française. J’ai un regret, c’est que Canal + ne soit pas en compétition parce qu’ils sont les leaders de l’innovation dans la fiction française, mais C8 participe.
Qui sont les membres de ce comité ?
Dans ce comité, il y a Nora Melhli, la cofondatrice et productrice d’Alef One, Isabelle Dhombres, chef des informations Télé Star et Télé Poche, la scénariste Lorène Delannoy, le producteur Christian Charret, le réalisateur et scénariste Arnauld Mercadier et François-Pier Pelinard Lambert, le rédacteur en chef du Film Français.
Et quelles sont vos impressions ?
La grande majorité des fictions françaises venant de TF1, France 2, France 3 et M6 concerne des meurtres, des disparitions et des secrets de famille, aux arches narratives le plus souvent entrecroisées. On a quelques fictions du réel, deux biopics, de rares histoires d’amour, dont une romcom. A l’exception de Dix pour cent, seules les « petites chaînes » comme OCS ou les nouveaux services comme YouTube Premium se consacrent à la comédie et aux programmes courts. C’est difficile d’imaginer des comédies avec de la déconne, des gros mots ou de la nudité sur une chaîne historique. On observe aussi une baisse des fictions historiques et patrimoniales.
Quels sont vos critères pour qu’une œuvre soit sélectionnée à La Rochelle ?
Il y a deux types de jugement sur la création, celui du public avec les audiences au moment de la diffusion, et celui du Festival de la Fiction TV. On ne cherche pas à pénaliser les fictions populaires, mais à encourager l’innovation, l’excellence et la prise de risque. Que ces fictions deviennent des succès ou pas, parce qu’elles sont trop pointues, on cherche à mettre en avant les meilleures, les plus innovantes, mais aussi celles qui auront le plus de pertinence sur le plan sociétal. Au-delà du divertissement, le rôle fondamental de la fiction contemporaine est sociétal. Elle sert à de nombreux spectateurs à se normer par rapport aux comportements des personnages de fiction : soit en mode, je suis choqué par rapport au personnage ou, au contraire, j’aimerais être capable de faire comme ce personnage.
Depuis vingt ans, comment voyez-vous l’évolution de la fiction française ?
La fiction a changé, la société a changé, les genres sont en évolution permanente. Il y a vingt ans, on voyait de grands héros de la République, L’Instit en est l’archétype, mais on avait aussi le flic, le médecin, l’avocat… On a toujours des héros, mais ce sont des gens beaucoup plus ancrés dans la vie, et non plus des modèles. Les personnages ne sont plus tout blancs, mais parfois gris, avec des côtés sombres et torturés. Ils sont beaucoup plus proches de la réalité. Ils ont nos défauts, nos vices, nos obsessions… On voit beaucoup de femmes seules et des mecs largués. Les couples homosexuels n’existaient pas dans la fiction il y a vingt ans. Il y a plus de diversité, c’est une bonne chose, mais ça a mis le temps !
Comment jugez-vous l’état actuel de la fiction française ?
Nous sommes au milieu du gué. Les audiences de la fiction de TF1, France 2, France 3, M6 et Arte sont excellentes. L’inquiétude vient de l’observation de la transformation des modes de consommation et des thématiques abordées par les nouveaux entrants. TF1 ne peut pas proposer la même chose que les chaînes du câble américain comme HBO ou AMC. Les grandes chaînes doivent toucher un large public, qui ne doit pas être affecté par quoi que ce que soit de ce qu’il voit sur ces cinq grandes chaînes. Si France 2 avait fait Weeds, elle aurait eu des ennuis ! Les plateformes comme Netflix ou Amazon peuvent se permettre d’aborder des thématiques encore plus pointues. Ces plateformes n’ont pas les mêmes pressions qu’une grande chaîne et fonctionnent comme des vidéos store numériques.
Quels sont les grands défis de la fiction française ?
Ce qui nous attend dans les années qui viennent ? Il faut changer la structure de la production française. Le paradoxe à résoudre pour les producteurs et les chaînes est comment conjuguer les besoins des chaînes constituées pour la diffusion pour le plus grand nombre et la publicité avec l’arrivée des plateformes internationales. La question est de savoir comment faire la bascule dans ce nouvel écosystème ?