«Back Side, dos à la mode»: Absent, entravé ou dénudé... Le musée Bourdelle expose le dos sous toutes ses coutures
ART Du sillage d’une traîne de cour à la charge d’un sac à dos, de la sensualité d’un décolleté à la contrainte d’une fermeture, le visiteur est invité à interroger la perception qu’il a de son dos et de celui des autres
C’est la mode qu’on ne voit pas au premier regard, à moins qu’on la suive. Le côté pile qui apparaît à un moment inattendu. Qui laisse bouche bée Pierre Richard dans Le grand Blond avec une chaussure noire (1972), lorsque Mireille Darc se retourne, ou qui enveloppe Juliette Gréco de mystère sur l’air de La Javanaise dans Gainsbourg, vie héroïque (2010).
« Tous les Francophones, vraiment tous, pensent d’emblée à la robe de Mireille Darc, c’est assez incroyable. C’est pour cette raison qu’on lui a donné une place à part dans l’exposition », commente Alexandre Samson, commissaire de Back Side, dos à la mode. Visibles au musée Bourdelle jusqu’au 17 novembre, les modèles présentés dialoguent avec les sculptures du lieu, leur musculature et leurs profils délicats.
Consacrée au vêtement vu de dos, l’exposition retrace quatre siècles de mode à travers un parcours thématique composé d’une centaine de silhouettes et accessoires issus des collections du Palais Galliera. « Le hasard fait bien les choses, car Antoine Bourdelle est le seul sculpteur dans toute l’histoire occidentale dont on a conservé le moulage du dos », poursuit Alexandre Samson. Les deux arts, mode et sculpture, ont en commun d’être conçus en trois dimensions. Un point crucial pour le commissaire.
Prendre le temps de se retourner
« Aujourd’hui, on fonctionne avec les écrans, on finit par se voir en deux dimensions. Or, on crée pour des corps humains ! » Dans une société obsédée par le visage, l’exposition est également faite pour prendre le temps de se retourner, prendre son temps tout court. « Dans les défilés de mode aussi, il faut aller très vite », souligne Alexandre Samson. Les mannequins qui filent et défilent ne laissent pas beaucoup aux spectateurs la possibilité de voir leur dos.
Lors du parcours, plusieurs thèmes guident le visiteur à travers les œuvres de Givenchy, Gaultier, Balenciaga, Yamamoto… Et il n’y a pas que le dos nu, même si la référence est riche. Il y a aussi la fermeture, comme sur la robe fourreau de John Galliano et ses 51 boutons. « L’un et l’autre se rejoignent dans un jeu de séduction soumission au regard de l’autre. Socialement, les femmes en jouent beaucoup, de manière très subtile. Elles ne voient pas le dos entravé comme une contrainte, mais aussi comme de l’érotisme. »
Néanmoins, dans Toni Erdmann (2016), dont un extrait est présenté avec d'autres films dans l'exposition, l’héroïne craque comme le zip de sa robe qu’elle n’arrive pas à mettre, et décide de recevoir ses invités… complètement nue, provoquant le basculement du scénario.
Zara et la parka « I really don’t care up » portée par Melania Trump
Qu’il soit absent, entravé ou décolleté, le dos a bien un message à faire passer. Lorsque la marque Comme des garçons l’habille d’une protubérance, elle invite à questionner la notion de corps idéal. A la fin des années 1960, des messages se déploient aussi librement sur le dos des vêtements. Et en juin 2018, Melania Trump fait scandale en portant la parka de la marque Zara sur laquelle on peut lire l’inscription : « I really don’t care up, do you ? »
Grand absent de l’exposition : le vêtement d’homme. Aucun, à part la camisole de force (dont deux modèles sont exposés), ne s’est jamais fermé par-derrière. « L’homme n’aime pas l’entrave. De nos jours, il séduit encore avec sa position sociale. Il n’aime pas jouer avec ses faiblesses », pense Alexandre Samson. Purement décoratif ou surface d’expression de l’usage, du désir ou de la contestation, le dos a sans doute encore beaucoup de choses à nous apprendre.