#jesuisunabruti: Comment les journalistes s'unissent face à une «violence» sans précédent
DECRYPTAGE Après une enquête de franceinfo sur des soupçons de surfacturation lors de la campagne présidentielle 2017, le leader de la France insoumise a traité les journalistes de la radio «d’abrutis»…
- Jean-Luc s’en est pris, avec des insultes, aux journalistes auteurs d’une enquête sur les comptes de sa campagne présidentielle 2017.
- De nombreuses rédactions ont décidé de soutenir les journalistes visés au travers d’un communiqué des SDJ et d’un hashtag sur Twitter.
- Le sociologue des médias Jean-Marie Charon analyse cette mobilisation inédite.
A violence inédite, mobilisation inédite. Une vingtaine de sociétés de journalistes (SDJ), dont celle de l’Agence France-Presse, ont apporté lundi leur « soutien sans réserve » aux journalistes de Radio France, Médiapart et France 3 pris pour cible par Jean-Luc Mélenchon. Après une enquête de franceinfo sur des soupçons de surfacturation lors de la campagne présidentielle 2017, le leader de la France insoumise a traité les journalistes de la radio « d’abrutis » », de « menteurs et tricheurs », ce qui a amené le groupe Radio France à annoncer samedi le dépôt d’une plainte.
« Il n’y a pas eu l’équivalent de ce hashtag » dans le passé
« Pourrissez-les partout où vous trouvez (…) Il faut qu’à la fin, des milliers de gens se disent, les journalistes de France Info sont des menteurs, sont des tricheurs et il y a autour un système qui n’a même plus de recul professionnel de se dire mais qu’est-ce qu’on est en train de raconter ? », a lancé vendredi dernier Jean-Luc Mélenchon sur les réseaux sociaux, s’en prenant à ceux qui ont enquêté sur ses comptes de campagne présidentielle. Sous le hashtag #jesuisunabruti, de nombreux journalistes ont publié des messages de soutien. Une mobilisation qui semble assez inédite pour une profession qui peine parfois à se faire entendre d’une seule voix.
« Je n’ai pas en tête de situation comparable », admet le sociologue des médias Jean-Marie Charon qui ne cache pas sa sidération devant la violence des paroles prononcées ce week-end. Le discours anti-médias s’est déjà vu dans le passé, surtout du côté du Front national (désormais Rassemblement national). « Il n’y a pas eu l’équivalent de ce hashtag, il y avait plutôt un comportement qui avait tendance à se diffuser en disant de ne pas inviter telle personne. C’était dans le non-dit, me semble-t-il », pointe l’ingénieur d’études au CNRS. Depuis quelques années, la relation entre un certain nombre de personnalités politiques et les médias « a atteint un niveau d’exaspération » assez inédit. Et Jean-Luc Mélenchon fait partie des plus véhéments. L’ancien candidat à la présidentielle est célèbre pour entretenir des rapports exécrables avec les médias. En avril, Reporters sans Frontières avait d’ailleurs dénoncé sa stratégie de « haine des médias ».
« On n’est plus dans la critique, on est dans la caricature »
« J’ai été sidéré de voir la multiplication de tweets agressifs, insiste Jean-Marie Charon. On a l’impression d’une campagne lancée sur les réseaux sociaux et l’ampleur du phénomène a conduit à la création du hashtag ». Mais l’usage de #jesuisunabruti n’est pas sans risque. « En jouant sur l’humour et en marquant l’opposition aux propos de Mélenchon, le risque c’est que le hashtag soit détourné par ceux qui attaquent les journalistes, en disant : "c’est une réponse corporatiste" ». Pour le sociologue, le débat tel qu’il se positionne aujourd’hui assimile le journaliste à des « moutons sous les ordres des milliardaires et de l’Etat ».
« On n’est plus dans la critique, on est dans la caricature et, maintenant, on bascule vers une attaque directe contre le travail des journalistes », s’inquiète Jean-Marie Charon qui ne cache pas son étonnement de surprendre parfois Emmanuel Macron utiliser la même sémantique. « La critique légitime est une critique dans laquelle on analyse, on réfléchit, on met en évidence les problèmes. Il ne suffit pas de caricaturer le travail des journalistes comme il peut arriver au président de la République de le faire ».
La meilleure défense des journalistes sera également une analyse, sur le fond, de ces comportements. Reste à savoir si Twitter est un outil satisfaisant pour le faire.