INTERVIEW« Va-t-on continuer à se taire sur l’inceste ? », se demande Muriel Robin

« Est-ce que le peuple finira par dire qu’il ne peut plus vivre avec l’inceste ? », demande Muriel Robin

INTERVIEWDans « Les Yeux grands fermés », diffusé ce lundi, à 21h10 sur TF1, Muriel Robin incarne une mère plongée dans le doute lorsque son fils est soupçonné d’abuser sexuellement son petit-fils. « 20 Minutes » l’a rencontrée au Festival de La Rochelle
Fabien Randanne

Propos recueillis par Fabien Randanne

L'essentiel

  • Le téléfilm Les Yeux grands fermés, présenté hors compétition au Festival de la fiction de La Rochelle mi-septembre, est diffusé ce lundi 2 octobre à 21h10 sur TF1.
  • Muriel Robin y incarne une femme plongée dans le doute lorsque son fils est accusé d’abuser son petit-fils.
  • « Je pense que ce téléfilm a une mission d’éveil, de prise de conscience d’une réalité de la situation. L’erreur serait de se dire : « Ça ne peut pas se passer chez nous ». J’aimerais bien que les parents en parlent pour que, si un jour cela arrive, l’enfant sache qu’il peut dire les choses. Pour l’instant, personne n’en parle, on est au niveau zéro », déclare Muriel Robin à 20 Minutes.

Lorsqu’on la rencontre, au Festival de la fiction de La Rochelle, le 14 septembre, Muriel Robin n’a pas le cœur à rire. Elle est venue en Charente-Maritime pour présenter, hors compétition, Les Yeux grands fermés, une fiction sur l’inceste - diffusée ce lundi à 21h10, sur TF1. Elle y incarne une femme dont les certitudes basculent lorsque son fils, joué par Guillaume Labbé, est accusé de violer son petit-fils. A 20 Minutes, elle confie que le tournage l’a « impactée ».

Peut-on dire que ce rôle est plus qu’un rôle pour vous ? Que c’est un engagement ?

Oui. Dire oui à ce projet était une évidence. Il est important pour moi de parler de tels sujets. La télé permet ça. Je pense qu’un film comme Les Yeux grands fermés, au cinéma, ne ferait pas une entrée. C’était la même chose, d’ailleurs, pour Jacqueline Sauvage. La télévision permet de s’adresser aux familles. Que les parents puissent regarder, avec leurs enfants, puis avoir une discussion là-dessus avec eux me paraît apporter une petite pierre à l’édifice concernant ce fléau sur lequel il y a tout à faire.

Vous jouez donc une mère qui ne peut pas concevoir que son fils puisse être capable d’abuser son petit-fils…

On est dans une sorte de thriller, quoi. Si son fils a fait quelque chose, elle doit le dénoncer pour qu’il aille en prison. Est-ce qu’une mère peut mettre son fils en prison ? Si elle se tait, elle abandonne son petit-fils, qui aura une vie foutue. Alors, qu’est-ce qu’elle va faire ? Il faut regarder le film pour ça… mais c’est compliqué.

Cette fiction montre aussi que, si les adultes parlent beaucoup de ce qui a pu se passer ou non, on ne cherche pas à écouter le principal concerné, l’enfant…

Souvent, les enfants ne sont pas écoutés. Ou mal écoutés. Et puis on ne veut pas voir cette chose-là, c’est très difficile. D’abord, une maman qui parle va être traitée de menteuse. On l’accusera de vouloir se venger de l’homme dont elle s’est séparée ou d’autre chose. Une femme, quand elle est battue, elle ment, quand elle est violée, elle ment et quand elle est témoin d’inceste, elle ment. On a décidé ça, il va falloir changer ça aussi à un moment. Je disais que personne ne veut voir ça. C’est ce silence qu’il faut casser. Il faut de l’éducation. J’ai lu l’interview d’Emmanuelle Béart dans Elle. Elle y dit que son incesteur n’a pas eu besoin de lui dire de se taire. [ « Ce qu’il y a de terrible, c’est que souvent, la personne qui agresse n’a pas besoin de dire "Tais-toi !", c’est implicite, on se tait. Et puis il y a la peur, aussi, de ne pas être cru. »] C’est ça qui est insoutenable, imaginer cet enfant seul avec cette souffrance. Et puis il y a ceux qui pensent que parler, c’est faire éclater une famille. Alors, combien pèse la vie d’un enfant ?

Les chiffres sont vertigineux. En France, un enfant sur dix est victime d’inceste…

Cela veut dire que dans une classe de trente, il y a trois enfants qui sont incestés. On sait qu’aujourd’hui, 5.5 millions de personnes en France ont été agressées dans leur enfance, que 30 à 40 % des victimes d’inceste deviennent des incesteurs, donc si on ne fait rien ça va continuer. On sait les choses et on va tous vivre avec comme on a tous très bien vécu avec les femmes qui tombaient tous les deux jours et demi sous les coups. Est-ce que nous, le peuple, on va finir par dire qu’on ne peut plus vivre avec ça ? Ou est-ce qu’on se taira parce qu’on a d’autres choses à faire, que la vie est là, que ça ne nous regarde pas… En tout cas, pendant ce temps-là, les enfants…

Et lorsqu’il y a des poursuites judiciaires, seules 3 % des plaintes pour viol sur mineur débouchent sur une condamnation…

Il y a quelque chose qui n’est pas mis en place. Il faut changer les choses. On ne peut pas vivre dans un pays où on va regarder les enfants en se disant « Est-ce que… ? » et où on va regarder les hommes en se demandant : « Est-ce qu’il tape sa femme ? Est-ce que de temps en temps il met la main dans la culotte de sa fille ? » Pour vous, les hommes, ça va être terrible. On a toujours mis ça sous le chapeau « pathologie », on fait du médical avec l’enfant et avec l’incesteur. Or, l’incesteur n’a pas de pulsions, il se cache pour agresser. S’il ne peut pas le faire à l’instant T, il décale son plan.

Vous vous êtes documentée pour ce tournage ?

Ce tournage m’a impactée.

C’est-à-dire ?

Je m’engage, je vais au 119 [numéro dédié à la prévention et à la protection des enfants en danger] écouter des témoignages, je suis à côté de la secrétaire d’Etat [Charlotte Caubel, chargée de l’Enfance], j’ai lu des choses… Je n’ai pas d’enfants. Pour moi, l’inceste, n’est a priori pas ma priorité mais bon, tous les enfants sont mes enfants, toutes les femmes sont mes sœurs et tous les hommes sont mes frères. Je me demande ce que je peux faire. Si un enfant se replie sur lui-même, s’il est violent, se scarifie… faut-il ou non se poser la question : « Et si c’était ça ? » Moi je réponds oui. Parce que répondre non, c’est passer à côté. Toute la question est : est-ce qu’on veut le voir ?

Vous pensez que ce téléfilm pourra aider certaines personnes à ouvrir les yeux sur ce qu’il se passe autour d’elles ?

Je pense qu’il a une mission d’éveil, de prise de conscience d’une réalité de la situation. L’erreur serait de se dire : « Ça ne peut pas se passer chez nous ». Ça veut dire quoi « chez nous » ? Et si, ça peut être chez vous : un enfant sur dix en est victime. Si cela arrive, on ne va pas vous juger, ce n’est pas vous qui commettez le viol, c’est quelqu’un chez vous, de proche. J’aimerais bien que les parents en parlent pour que, si un jour cela arrive, l’enfant sache qu’il peut dire les choses. Pour l’instant, personne n’en parle, on est au niveau zéro.

Que diriez-vous aux téléspectateurs et téléspectatrices qui auraient des réticences à regarder cette fiction sur l’inceste ?

Je dirais que si on aime les thrillers, il faut regarder. Est-ce que son fils l’a fait ? Est-ce qu’il ne l’a pas fait ? Est-ce qu’elle va le dénoncer ? De quel côté va-t-elle se ranger ? Il y a aussi de l’émotion. Et puis allez, il faut aussi s’intéresser un peu à ce qui arrive aux autres. Soyons avec cette grand-mère, mettons-nous à sa place et demandons-nous ce qu’on fait.