Le chanteur du groupe Smash Mouth Steve Harwell, à jamais lié à « la chanson de ''Shrek'' », est mort à 56 ans

DISPARITION L’ex-leader du groupe de rock californien, décédé des suites d’une maladie au foie, a marqué la pop-culture avec un titre qui a connu un succès planétaire pendant plus de deux décennies, en grande partie grâce à l’ogre vert de Dreamworks

Philippe Berry
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Le chanteur du groupe Smash Mouth, Steve Harwell, est décédé le 4 septembre 2023.
Le chanteur du groupe Smash Mouth, Steve Harwell, est décédé le 4 septembre 2023. — AFP

De notre correspondant aux Etats-Unis,

« Soooome-Body… » Entonnez ces trois syllabes, et n’importe quel Américain âgé entre 25 et 50 ans est capable de chanter la suite, reconnaissant immédiatement le tube All Star, gravé à jamais dans la pop-culture par les crédits d’ouverture de Shrek il y a plus de vingt ans. Alors que le chanteur de Smash Mouth, Steve Harwell, est décédé des suites d’une maladie au foie, a annoncé lundi l’agent du groupe, retour sur l’histoire d’un carton planétaire.

En 1997, le premier album du groupe, Fush Yu Mang, connaît un joli succès et permet à Smash Mouth de se faire une place dans la scène rock californienne, avec un mélange de ska et de punk ensoleillé flirtant avec un son rétro psyché, surtout sur le tube Walkin' on the Sun, qui culmine en seconde position des charts américains. Alors que le groupe termine son second album deux ans plus tard, la maison de disques Interscope Records a une critique majeure : il manque un tube capable de cartonner à la radio. Le guitariste et principal compositeur du groupe, Greg Camp, relève le défi et revient avec deux démos dont une qu’il « déteste un peu », ayant l’impression de compromettre son intégrité, raconte le site spécialisé The Ringer, qui livrait en 2019 une histoire orale du phénomène All Star.

Quand le chanteur Steve Harwell entend la démo de cette chanson à quatre accords aux paroles simplistes, avec son refrain monosyllabique sur un loser qui connaît enfin le succès et devient un « all-star », il en est immédiatement convaincu : ce titre est de ceux qui changent à tout jamais une carrière. Pour le meilleur, mais aussi pour le pire.

Le mégaphone « Shrek »

All Star marche plutôt bien à sa sortie en 1999, grimpant en 4e position des charts, sans toutefois faire aussi bien que Walkin' on the Sun. Un ogre vert qui pète, rote et se lave dans la boue, va changer tout ça deux ans plus tard.

Quand les créateurs de Shrek planchent sur leur film d’animation pour Dreamworks, ils utilisent une bande-son temporaire – une pratique universelle dans le cinéma – le temps de faire un choix définitif et de laisser les superviseurs musicaux négocier les droits avec les maisons de disques et les artistes.

All star ouvre le bal des crédits d’introduction, quand les spectateurs font la connaissance de Shrek dans son marais puant. Les réalisateurs chargent alors un jeune artiste signé sur le label de Dreamworks, Matt Mahaffey, de créer une chanson légère et sympa, similaire à All Star, qui a déjà été utilisé dans deux films récents, notamment la parodie de super-héros Mystery Men, avec Ben Stiller. Après des semaines de boulot, ils sont satisfaits du résultat. Mais après avoir vu un montage, le patron de Dreamworks, Jeff Katzenberg, pose une question : « Pourquoi vous n’utilisez pas juste All Star ? »

Shrek, avec son humour pipi-caca irrévérencieux, explose le box-office, récoltant près d’un demi-milliard en 2001, uniquement battu par les premiers volets de Harry Potter et du Seigneur des anneaux et par Monsters Inc. All Star ouvre le film, et Smash Mouth réalise une reprise de I’m a believer spécialement pour les crédits de fin. La BO s’écoule à plus de deux millions d’exemplaires. All Star tourne en boucle à la radio. La chanson est au catalogue des jeux vidéo Rock Band et Guitar Hero. Elle devient un hymne dans les stades de foot. La boucle est bouclée pour un groupe qui tire son nom d’un terme de football américain des années 1980, qui caractérise une attaque de brutes qui démontent les mâchoires de l’équipe adverse pour protéger la course du « running back ».

Un groupe has-been

La crainte du guitariste se réalise. Smash Mouth devient « le groupe de Shrek », et Steve Harwell, en tant que chanteur, son visage. Etre un fan du groupe, c’est accepter les moqueries et les railleries des potes. Smash Mouth est anti-cool et anti-rock. Saturday Night Live enfonce le clou en 2010, avec un sketch mettant en scène une petite fille qui fait des cauchemars de Smash Mouth.

Il suffit d’aller sur la page Spotify du groupe pour constater les dégâts : All Star comptabilise près d’un milliard de streams, devant I’m a believer (226 millions). Walkin' in the sun est leur seule chanson non liée à Shrek à dépasser les 100 millions. Tous les autres titres sont sous les 20 millions d’écoutes.

Combien d’argent All Star a-t-elle rapporté à Smash Mouth ? Officiellement, le groupe a gagné 500.000 dollars avec les royalties de Shrek. Mais en tenant compte des 8 millions d’auditeurs mensuels sur Spotify et des revenus des concerts, le montant devient astronomique et impossible à chiffrer.

Pour Steve Harwell, la fin n’a pas été glorieuse. En plein confinement, en 2020, Smash Mouth donne un concert devant des milliers de personnes, et le chanteur hurle « Fuck that Covid shit ». Dans la foulée, il insulte ses fans, visiblement ivre sur scène. Le frontman, qui a bataillé avec son alcoolisme pendant plusieurs décennies, quitte le groupe fin 2021 pour se soigner. « Steve a vécu une vie à plein gaz à 100 %. Il a illuminé l’univers avant de s’éteindre », a salué l’agent du groupe Robert Hayes, lundi. On ose à peine l’écrire : Steve Harwell est devenu un all-star.