Du théâtre Shakespearien à « Drag Race France », la fabuleuse histoire du drag
PLAN DRAGS (2/5) Avec l'arrivée sur nos écrans de « Drag Race France », on serait tentés de penser à un phénomène de mode. Pourtant, le drag est un art qui a son histoire
- Alors que Drag Race France, émission culture de compétition de drag-queens, a été lancé sur France Télévisions, 20 Minutes en profite pour faire un tour d’horizon de cette pratique artistique ancienne et méconnue.
- Histoire, retentissement politique, grandes figures et petites histoires, cette série d’articles est l’occasion de mieux connaître cet univers.
- Aujourd’hui, nous vous proposons un retour sur les origines du drag.
Perchées sur de grands talons, perruque bien en place et maquillage élaboré, elles sont de plus en plus présentes dans notre paysage médiatique et culturel : elles, ce sont les drag-queens, artistes qui performent la féminité des cabarets aux bingos en passant par les chars de la Marche des Fiertés … Et désormais sur le petit écran avec l’arrivée sur Francetv Slash de Drag Race France, franchise francophone de la télé-réalité américaine. On aurait tendance à penser que le drag est un art nouveau, dopé par la culture américaine. Bien au contraire : c’est ce que nous a expliqué Arnaud Alessandrin, sociologue du genre à l’Université de Bordeaux.
Tout d’abord, petit exercice de définition : c’est quoi le drag ?
Il n’y a pas de définition universelle de ce qu’est le drag. Cependant, on peut définir trois catégories : d’une part, une pratique artistique et scénique de transformation du genre, qui peut se trouver au théâtre, dans les cabarets, à la télévision. D’autre part, c’est une pratique politique subversive de déconstruction des normes de genre, qu’on peut retrouver dans des associations, des mouvements sociaux, ou des supports artistiques militants. Enfin, c’est un média festif que l’on trouve parfois dans les festivals, les boîtes de nuit, et aujourd’hui dans l’entertainment à l’américaine avec RuPaul’s Drag Race.
Quelles sont les origines du drag ? Sait-on quand cet art a été inventé ?
On peut trouver plusieurs sources du drag : déjà, dans le théâtre shakeasperien, où les femmes n’étaient pas acceptées sur scène. Les hommes jouaient donc les rôles de femmes, et certains pensent que l’expression "DRessed like A Girl" (habillé comme une fille) a donné le mot drag.
Une seconde source du drag, ce sont les cabarets transformistes français et allemands du début du XXe siècle. Ce qu’il faut préciser, c’est que le transformisme et le drag n’ont rien à voir : les artistes transformistes tendent au mimétisme de célébrités, comme par exemple Chez Michou.
Enfin, un troisième élément source du drag, ce sont les mouvements de lutte contre les LGBTphobies et contre le VIH dans les années 1990. Par exemple, on retrouve les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, qui critiquent et caricaturent les normes de genre et parodient les normes religieuses.
Au milieu des années 1990, on a une explosion des figures drag et de leur visibilité avec les films Paris is Burning ou Priscilla, Folle du Désert. Le monde découvre la figure drag, et pendant plusieurs années, on a une explosion de cette esthétique marquée par des couleurs flash ou des bottes plateformes pailletées. Et bien sûr, la célébrité de RuPaul qui croît sur la scène new-yorkaise.
Pourtant, en France, on a la sensation qu’il y a eu une parenthèse sans visibilité drag depuis les années 1990 jusqu’à il y a une dizaine d’années…
Chaque pays a ses spécificités, liées à son histoire politique et sociale. Alors que RuPaul marche aux Etats-Unis, à la télévision et dans la chanson, on assiste à une disparition de la figure drag. Cela peut s’expliquer peut-être par la mise à l’agenda politique était aux questions autour du PACS, puis du Mariage pour Tous…
Mais cela revient au début des années 2000 avec la création de clubs, de communautés (des houses), de collectifs. Aussi parce qu’entre 2000 et 2020, il y a eu beaucoup de reconnaissance et de propositions artistiques subversives. De fait, on assiste à une résurgence des figures et pratiques drag avec quelques caractéristiques spécifiques : un public élargi, en partie grâce à RuPaul’s Drag Race, mais aussi les rencontres grand public ; des artistes pratiquants le drag plus nombreux, qui ne se limite pas à des hommes gay ; et enfin des figures drag qui se complexifient, qui créent leur propre genre. De plus, on assiste à un mouvement singulier : jusque-là, les drag se basaient à Paris. Le mouvement culturel s’est étendu partout en France.
Pensez-vous que la démocratisation du drag, notamment maintenant qu’il a sa place sur la télévision publique, va amener une amplification de cet art ?
Dans la popularisation, il y a une ambivalence : d’un côté, cela amène une plus grande visibilité et une professionnalisation. Cela veut dire que les drag vont pouvoir vivre de leur art, en étant de plus en plus connus.
Mais de l’autre côté, on va peut-être assister à un mouvement dénaturé, une appropriation des drags par des éléments capitalistiques, dépolitisés, qui s’éloignent de la culture drag qui est celle de la revendication, de la lutte contre la stigmatisation et les discriminations. On a malheureusement jamais l’un sans l’autre, la popularité sans la peur d’être récupéré.