Jubilé de platine d'Elisabeth II : « La Reine d'Angleterre est devenue la grand-mère de l'Europe », selon Adélaïde de Clermont-Tonnerre

« 20 MINUTES » AVEC La Reine d’Angleterre célèbre son jubilé de platine en grande pompe cette semaine. Adélaïde de Clermont-Tonnerre explique à « 20 Minutes » pourquoi cette grande dame fascine tant les Français

Benjamin Chapon
— 
Elisabeth 2 le 30 juin 2021à Glasgow
Elisabeth 2 le 30 juin 2021à Glasgow — Tim Rooke/Shutterstock/SIPA
  • Tous les vendredis, 20 Minutes propose à une personnalité de commenter un phénomène de société dans son rendez-vous 20 Minutes avec…
  • À l’occasion du jubilé de platine de la reine Elisabeth II, Adélaïde de Clermont Tonnerre a participé à l’émission spéciale de France 2 ce jeudi.
  • La directrice de la rédaction et propriétaire du magazine Point de vue, estime que la reine d’Angleterre « a une influence bien au-delà du Commonwealth ».

Edit du 8 septembre 2022 : Cet article a été réalisé au moment du Jubilé de Platine de la Reine. A l'occasion de son décès, nous vous proposons de relire cet entretien qui explique la force symbolique et la popularité de la souveraine.

70 ans de règne. « C’est vertigineux », s’exclame Adélaïde de Clermont Tonnerre, directrice de la rédaction de Point de vue et autrice de romans historiques*. L’écrivaine voit, bien sûr, dans la vie d’Elisabeth II le matériau idéal pour un roman. Mais la journaliste préfère analyser l’impact de ce règne hors norme sur la société. L'autrice a d'ailleurs participé à l’édition spéciale de France 2 consacrée au jubilé ce jeudi.

Adelaïde de Clermont Tonnerre
Adelaïde de Clermont Tonnerre - Jean Michel Nossant/SIPA

Pour 20 Minutes, Adélaïde de Clermont Tonnerre revient sur l’attachement unique que le public, français notamment, a pour la Reine d’Angleterre. Et sur les contradictions que cache cette fascination.

Que représente Elisabeth II pour Point de vue ?

Point de vue a grandi avec elle. La première couverture en couleur du magazine, c’est le couronnement de la reine en 1953. A sa création en 1945, Point de vue devait être un Life à la française, le premier picture magazine français. C’est une tranche d’histoire ce magazine. Tout comme Elisabeth II, nous avons traversé le XXe siècle.

Elisabeth II est-elle une actrice ou un témoin des époques qu’elle a traversées ?

Elle a été témoin des difficultés de la Seconde Guerre mondiale, notamment. Mais elle a aussi été actrice en tant que cheffe d’Etat. Elle, et la monarchie avec elle, ont évolué avec l’époque. Elle s’est adaptée aux événements, nombreux, qui ont agité son règne et elle s’est accordée aux révolutions des mœurs. On ne peut pas préjuger des opinions de la reine, qui a le devoir de ne jamais les exprimer, mais on peut juger les faits. Sa sœur n’a pas pu épouser un homme divorcé, mais son fils, Charles, a pu le faire avec Camilla, qui était pourtant la maîtresse honnie… Et Harry a pu épouser Meghan, une divorcée, américaine. Il y a encore deux générations, ça aurait été impensable, il y aurait eu des évanouissements à Buckingham si quelqu’un avait osé envisager une chose pareille…

Vous la feriez presque passer pour une progressiste…

Peut-être pas non. Mais, tout en maintenant les traditions et un certain folklore, elle n’est pas du tout une reine protocolaire. Elle est profondément humaine, elle se sert de son intelligence et de sa subtilité. En cela, elle est moderne. Et puis elle a été la première cheffe d’Etat à avoir envoyé un mail.

Diriez-vous qu’elle est féministe ?

Elle s’en défendrait, elle n’aimerait pas ce mot parce qu’elle est de sa génération. C’est un mot qui fait encore un peu peur dans son milieu, qu’on commence tout juste à assumer. Mais je pense qu’elle a beaucoup fait pour les femmes. A 25 ans, elle a dû s’imposer dans un milieu très très misogyne. Elle a inauguré l’ère moderne des femmes, en étant à la fois mère et en ayant une incroyable activité professionnelle. Cela a aussi été rendu possible grâce à un mari ayant accepté de renoncer à une carrière militaire qui s’annonçait glorieuse. Il a choisi de passer sa vie toujours trois pas derrière elle. C’est quand même un couple pionnier.

Comment expliquez-vous l’attachement de vos lecteurs français à cette figure de reine anglaise ?

C’est un personnage qui a une influence bien au-delà du Commonwealth. Depuis quelques années, elle incarne une figure rassurante. On en a eu la preuve avec les réactions à son discours pendant la pandémie. Son message d’espoir, très simple, a suscité des réactions très émues. Son We will meet again a résonné chez énormément de familles, dans les cercles d’amis. Sa capacité de résistance est inspirante.

Elle n’a pas été la seule dans ce cas pendant la pandémie. Et puis les Français n’ont pas de roi. Pourquoi cette passion ?

Nous avons quand même la République la plus monarchique qui soit. Emmanuel Macron l’a bien compris avec son concept de président jupitérien, il a identifié cette nécessité-là. Même si les Français ne sont pas royalistes, il y a aussi l’attachement à cette figure d’aînée qui, à son âge, continue à remplir ses obligations, à tenir ses engagements, à faire l’effort, physique, de servir la couronne. Elle est devenue la grand-mère de l’Europe, elle incarne les aînés. Pendant la pandémie, beaucoup de personnes âgées sont mortes dans la solitude, les gens ont perdu leurs grands-parents sans pouvoir les revoir une dernière fois, sans pouvoir assister aux obsèques. Il y a ce passé récent douloureux en lien avec les aînés. Dans ce contexte, Elisabeth II envoie un message positif de la vieillesse.

Diriez-vous qu’elle a été une meilleure grand-mère que mère ?

Peut-être. Et une très bonne arrière-grand-mère aussi. Elle est en train de réussir son dernier grand défi : rabibocher sa famille après la crise énorme du Megxit. Elle va rencontrer sa dernière arrière-petite-fille. Pas mal de grands-mères aimeraient pouvoir gérer leur famille comme ça…

La fascination pour la famille royale du public, c’est aussi ça : un peu de voyeurisme ?

S’identifier aux personnages historiques, c’est cathartique. Au-delà de l’apparat, de l’histoire, on aime constater qu’ils sont humains, comme nous. Ils naissent, ils grandissent, ils meurent. Ils s’aiment, ils se déchirent… Les gens ont un affect pour eux : de l’amour ou de la détestation, de la pitié, de l’empathie.

Est-ce pour raconter ces histoires que vous avez décidé, en 2018, de racheter le magazine Point de vue, que vous dirigiez ?

Oui, bien sûr, le prisme royal est important chez nous. Mais surtout, j’avais peur que le magazine, qui est une pépite, ne tombe entre de mauvaises mains, celles de personnes mal intentionnées. Je suis viscéralement attachée à ce titre et surtout aux gens qui le font. J’ai vu au-delà de mon destin personnel, j’ai voulu m’engager dans cette histoire, faire en sorte que Point de vue reprenne son destin en main.

Il semble que, à l’instar de la famille britannique, Point de vue suscite moins de moqueries ou de condescendance qu’il y a quelques années. Avez-vous remarqué cela vous aussi ?

Absolument ! Beaucoup de gens ont fait leur coming-out en osant dire « J’aime Point de vue je le lis et je l’assume ». Je pense que l’histoire les intéresse. Avant ça faisait réac d’être curieux de notre passé, par ce qu’il en reste dans notre société. Dans un monde anxiogène, fluctuant, agité de chocs géopolitiques, les gens ont envie de se réancrer. Ça peut passer par un retour à la campagne, la redécouverte d’un terroir, ou la passion pour les rois et reines, témoins d’un passé.

*Les Jours heureux, Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Grasset, 22 euros. Edité aussi chez Poche, 8,40 euros.