Rap : Jul, 100 disques d’or et une inscription dans la variété française ?

SANG POUR CENT Jul est le second chanteur français, après Ninho, à obtenir 100 disques d’or. Derrière cette prouesse, et au-delà d’un incontestable succès, se cachent des méthodes de calcul changeant et se pose la question de l’intégration du rappeur marseillais à la variété française

Alexandre Vella
Jul a récolté son single 100e single d'or
Jul a récolté son single 100e single d'or — Slamcreations
  • Jul a certifié son 100e single d’or. Il est le second français, après Ninho, à réussir cette prouesse.
  • Mais comment sont calculées à l’heure du numérique ces certifications ?

Artiste français le plus streamé en 2021, rappeur français ayant vendu le plus de disques de tous les temps, à 32 ans, Jul empile les records comme les albums. « J’ai pas le time pour toi/Je pense à ma carrière », rappait-il en 2017 dans Je vais t’oublier, titre issu de son album La tête dans les nuages. Pas son meilleur morceau, ceci dit. En tout cas, pas l’un de ceux qui a obtenu une certification « single d’or », dont le rappeur marseillais vient de récolter le 100e avec La street, son featuring avec le rappeur Morad figurant sur l’album Indépendance, sortie en décembre 2021.

Pourtant habitué à être seul au monde, Jul n’est pas le premier artiste français à franchir ce cap aussi symbolique qu’impressionnant. Il a été devancé dans celui-ci par Ninho, le rappeur originaire de l’Essone, qui a certifié son 100e titre en mars 2021. Derrière ces chiffres impressionnants, se pose la question de leur calcul. Car malgré l’incontestable succès de Jul, d’autres monstres sacrés de la musique française ont bien existé avant lui. Alors comment Jul peut-il devancer un artiste comme, au hasard, Johnny Hallyday et ses 60 ans de carrière ?

Son essor coïncide avec la dématérialisation des certifications

En France, c’est le Snep, (syndicat national de l’édition phonographique), fondé en 1922, qui décerne ces certifications. Longtemps, du moins dans une ère pré-numérique, l’équation était simple : 1 vente de disque ou de single était égale à 1 vente. Mais l’essor des plateformes de streaming a nécessairement provoqué l’effondrement de ce modèle et le Snep a dématérialisé ses certifications en 2016, sans effet rétroactif automatique. Et 2016, c’est également l’année où Jul et Ninho ont sérieusement percé.

Depuis, les règles du jeu ont aussi un peu bougé, comme l’a constaté Luca, qui tient le compte Twitter «Vente Jul» et répertorie toutes ses certifications. « En 2018, par exemple, le Snep a changé ses méthodes en n’intégrant plus dans ses calculs que les écoutes premium, c’est-à-dire des écoutes provenant de comptes payants depuis les plateformes de streaming, en excluant YouTube tandis que l’industrie US les prend en compte », explique cet ingénieur strasbourgeois de 25 ans passionné du rappeur marseillais. « Cette même année, ils ont rehaussé le seuil de 10 à 15 millions d’écoutes pour une certification Or. Les changements sont assez obscurs », estime-t-il.

Nécessairement, « les performances » en certifications des morceaux de Jul s’en ressentent. « Jusqu’en 2017, les albums de Jul, qui contiennent autour de 20 titres en moyenne, comptaient de huit à treize titres certifiés. Depuis, il n’y a que son album Rien 100 rien [2019] qui est allé à ce niveau. »

Une inscription dans la variété

L’ovni marseillais, qui sortira cet été son 17e album studio en 8 ans, a toutefois encore un peu de chemin à parcourir pour détrôner le roi de la chanson française. Avec près de 5,5 millions d’équivalents albums vendus (1.500 streams d’album, égale une vente), il demeure encore loin de Johnny Hallyday qui pointe à près de 100 millions d'albums vendus (et continue à en vendre). En parlant de chanson française, ne convient-il pas mieux, désormais, d’inscrire Jul dans ce registre musical ? « Jul mêle des héritages du rap marseillais, très mélancolique, mais dans une forme un peu nouvelle, qui peut aussi parler à un public beaucoup plus large, parce qu’il y a aussi cette inscription dans la variété, ou du moins, qui le rend soluble dans la chanson française », estimait, dans une émission consacrée au rappeur marseillais sur France Culture le 12 avril dernier, la sociologue et doctorante Emmanuelle Carinos qui travaille ces questions. 

Notre dossier sur Jul

A voir ce que l’intéressé en pense, mais l’entendre citer très sérieusement dans certaines de ses chansons des artistes comme Dalida ou Cabrel comme des sources d’inspirations ou reprendre le thème musical de Nuit de folie de Début de soirée dans Folie, nous tenons, je pense, une partie de la réponse.